La situation reste incertaine en Catalogne : le gouvernement central a ralenti sa prise de contrôle de la région, craignant que cela provoque des réactions de masse. Le gouvernement de la Generalitat de Puidgemont, lui, est coincé entre la pression nationaliste espagnole et la pression populaire.
Nous faisons ce point ce lundi soir 23 octobre avec notre camarade Andreu Coll, membre de la section de la IVe Internationale de l’État espagnol.
Quelles sont les conséquences du conseil des ministres de samedi dernier ?
La discussion sur la mise en place de l’article 155 aura lieu jeudi au Sénat, le vote sans doute vendredi. Le gouvernement central devrait prendre en charge directement chaque ministère, et le délégué du gouvernement central prendre le contrôle de l’exécutif. Plusieurs dirigeants du PP [droite] ont d’ailleurs menacé d’autres régions de mettre en place les mêmes mesures, en Euskadi, en Castille La Mancha où il y a un accord entre PSOE et Podemos, et même en Navarre où le Parlement a voté une déclaration contre la mise en place de l’article 155 en Catalogne ! Il y a donc un danger de suspension de la démocratie partout dans l’Etat.
Le gouvernement central veut également prendre le contrôle de TV3, la télévision catalane. Le PP dénonce le manque d’objectivité des médias catalans… alors que, dans le même temps, les délégués de l’UGT et des Commissions ouvrières ont dénoncé le fait que ce principe n’est absolument pas respecté pour les médias centraux. De plus, ils se sont solidarisés avec la télévision catalane, et même la télévision nationale de Madrid dénonce les manœuvres du PP.
Comment réagit le gouvernement catalan ?
La plénière du Parlement catalan devait se dérouler jeudi mais cela sera peut-être reporté car Puigdemont va aller au Sénat de Madrid pour exprimer son point de vue… L’indépendance pourrait être proclamée, mais la pression monte de la part du patronat et de la presse, y compris catalane, pour que Puigdemont recule et appelle à des élections avant l’application de l’article 155, qui serait opérationnel lundi 30.
Une plainte aurait été rédigée contre lui, pour rébellion, lui faisant risquer 30 ans de prison… 1200 entreprises ont quitté la Catalogne. La presse, le patronat, la chambre de commerce mettent la pression sur la Generalitat. De plus, comme toutes les puissances européennes tapent sur les indépendantistes, l’indépendance signifierait également une sortie de l’Euro.
Pourquoi le Rajoy va-t-il moins vite que prévu ?
Au fond, le PP a peur de la dynamique qui pourrait se créer : les résistances peuvent être importantes et provoquer l’utilisation de l’article 116. Rajoy craint d’aller trop loin. Ciudadanos exerce une pression à l’extrême droite, demandant l’application rapide de l’article 155, critiquant Rajoy pour sa lenteur et sa « timidité ».
Quelles sont les réactions à gauche ?
Dans le PS de Catalogne, plusieurs dirigeants ont démissionné, ainsi que des élus et des dirigeants historiques, en dénonçant le soutien du PS Catalan au PSOE, d’autres menacent de le faire.
Pablo Iglesias a envoyé une lettre aux membres de Podemos. C’est intéressant car il y a une forme de retour au Podemos du début, plus radical. Il indique que la crise de régime est une crise sociale, démocratique et territoriale, où il est clair que le PSOE ne peut être une alternative au gouvernement. Il dénonce la constitution d’un « bloc monarchique » constitué du PP, de Ciudadanos et du PSOE. Iglesias revendique un retour à l’état d’esprit des Indignés, du 15M et propose de lutter pour un référendum, comme seule issue possible, et dénonçant les menaces contre la démocratie dans l’Etat. Ce positionnement est aussi un positionnement lié au fait qu’il est impossible de gagner les élections au niveau de l’Etat sans avoir la majorité absolue en Catalogne et en Andalousie. Podemos considérant que le PS de Catalogne est en crise, la seule alternative est Unidos-Podemos et le positionnement de principe pour un référendum permet de se positionner comme force hégémonique en Catalogne. De plus, si la direction centrale de Podemos garde une position relativement correcte, il faut tenir compte du fait que les cadres intermédiaires sont opposés à un référendum et même à la dénonciation de l’article 155, car ils sont davantage soumis à la pression nationaliste espagnole.
Qu’ont donné les manifestations du week-end dernier ?
La manifestation de samedi dernier était très massive, une des plus grosses depuis le début du processus, car elle mêlait la revendication de la liberté pour les Jordis et le refus de l’article 155. Dans le reste de l’État, dimanche et lundi, les manifestations étaient bien plus petites, réduites à l’extrême gauche, car la montée chauvine espagnole est très forte.
Les deux Jordis peuvent être maintenus en prison jusqu’au jugement… qui peut intervenir dans les 4 ans ! L’érosion de l’hégémonie de l’Etat se confirme, sur le long terme mais, sur le court terme, la répression est énorme. Un militaire, le commandant Segura, a été expulsé de l’armée pour avoir dénoncé la corruption, la mafia, l’ambiance fasciste à l’intérieur de l’armée. Son Livre noir de l’armée espagnole vient d’être publié et il va sans doute quitter Madrid face aux nombreuses menaces de mort qu’il a reçues. Il indique que plusieurs plans sont étudiés pour déployer l’armée en Catalogne.
De son côté, la CUP fait pression pour que Puigdemont déclare l’indépendance, demande une campagne de désobéissance massive de la population, des fonctionnaires, de la police mais cette politique risque d’être battue en brèche par le fait que l’État central va utiliser davantage les Mossos pour réprimer.
Une grève générale sera décidée pour la semaine prochaine. De plus, les Comités de défense (CDR) se sont réunis le week-end dernier. Ils se réunissent maintenant chaque semaine pour discuter d’actions militantes concrètes. Mais les débats sont difficiles, il y a une grande diversité politique et il n’est pas facile de construire une orientation alternative, plus combative, à celles d’ANC et d’Omnium [droite catalane]. Il y a un réel potentiel mais cette structure ne se considère pas encore comme une direction pour le mouvement. Nos camarades poussent dans ce sens.
Propos recueillis par Antoine Larrache (NPA)