samedi 2 avril 2016, un article d’ Olivier BESANCENOT et François SABADO
Ce 31 mars, un million de personnes, sont descendues dans la rue pour manifester leur rejet de la « Loi Travail » du gouvernement Hollande. Le 9 mars, déjà, près de 500.000 personnes avaient déjà battu le pavé dans plus de 250 villes du pays.
C’est une mobilisation populaire nationale qui se construit : des jeunes, des anciens, des salariés, des lycéens, des étudiants, des chômeurs. Mais, surtout, fait majeur, une nouvelle génération émerge, non seulement dans les grèves et manifestations lycéennes et étudiantes mais aussi dans les cortèges salariés et syndicaux. Comment ne pas évoquer, même si dans chaque pays, le mouvement a son expression particulière, ces milliers de jeunes qui ont occupé les places des grandes villes dans l’Etat espagnol, comme les « indignés », ou participé à l’émergence de Podemos, ou ces luttes de jeunes d’« Occupy Wall Street » aux USA. Cette nouvelle vague de radicalisation de la jeunesse, s’est aussi, exprimée lors des manifestations sur la COP 21.
Ce qui rassemble, et fait converger tous ces secteurs, et il y a de quoi, c’est d’abord le rejet de la « loi travail » du gouvernement, « une bombe atomique » contre les droits et acquis sociaux. La gauche gouvernementale a osé ce que la droite la plus réactionnaire, n’avait osé faire. Il s’agit en fait de la destruction du Code du travail – lois, décrets, règlements – qui, arrachés par des décennies de luttes et de conflits sociaux, protègent les droits des travailleurs contre l’exploitation capitaliste. Alors, que jusqu’ à ce jour, les dispositions du Code du travail l’ emportaient sur les accords d’entreprise, les contrats de travail particuliers, les dérogations, la « loi travail » ou « loi El Khomri » – du nom de la ministre – inverse la hiérarchie des normes sociales : elle subordonne les droits sociaux au « bon fonctionnement de l’ entreprise ».
Ainsi, selon le bon vouloir des patrons, couvert par le chantage à l’ emploi, des accords locaux pourront décider de la durée du temps de travail, du montant du salaire, de la possibilité de licencier, sans passer par le respect d’un certain nombre de dispositions réglementaires. Finies les 35 heures, on pourra travailler plus pour gagner moins. Si les profits baissent, l’employeur pourra revoir les horaires à la hausse et sur une année les rémunérations à la baisse. C’est la précarisation à vie de toutes les conditions de travail. On comprend, la vive réaction du monde du travail et de la jeunesse.
Le gouvernement aurait dû d’ailleurs y prendre garde lorsque les sondages indiquaient que 70 % des français s’opposaient au projet de loi, et encore plus lorsqu’une pétition sur les réseaux sociaux réunissaient plus de 1.200.000 signatures. Depuis le mouvement a pris son envol. Ce ne sont plus seulement des opinions ou des signatures, mais des réunions, des assemblées générales, des manifestations. Des milliers de jeunes s’engagent, se politisent. Car il ne s’agit pas seulement d’exiger le retrait de la Loi travail, mais de s’insurger contre les effets de la crise capitaliste de ces dernières années : l’explosion des inégalités, les injustices sociales, les politiques d’austérité, le mode d’organisation économique basé sur la rentabilité capitaliste, la concurrence, et le productivisme destructeur de l’environnement. Ces ressorts socio-économiques se sont conjugués à l’exigence démocratique contre une réforme constitutionnelle qui, en instaurant une déchéance nationalité pour les binationaux, allait stigmatiser toute une partie de la population d’origine étrangère. Durcissement des politiques d’austérité, discriminations et racisme, trop c’est trop, « l’eau du vase a débordé », les gens sont dans la rue !
Et cela s’exprime dans de nouvelles formes de luttes comme l’occupation de places ou de lieux symboliques, après les manifestations. Ainsi des milliers de jeunes ont participé à une initiative appelée, la « nuit debout », place de la République à Paris. A l’appel d’un collectif de journalistes, intellectuels, animateurs de luttes, des milliers de personnes sans signes syndicaux ou politiques ont échangé, discuté durant plusieurs heures après la manifestation. Ces milliers de jeunes ont décidé de se donner de nouveaux rendez-vous.
Enfin, ce mouvement peut prendre une nouvelle dimension car il s’inscrit dans une conjoncture marquée par la conjonction d’une crise sociale et d’une crise politique. Les jeunes et le monde du travail manifestent alors que le président et le gouvernement n’a jamais été aussi faible politiquement. Hollande a du reculer et annuler sa réforme constitutionnelle. Mais du coup, pour des milliers de jeunes et de salariés, ce recul peut en appeler d’autres.
C’est en effet, un bras de fer qui oppose maintenant le gouvernement et la jeunesse, les salariés et les syndicats qui rejettent le projet de loi. Le gouvernement a divisé le front syndical puisqu’il a obtenu le soutien de la CFDT, mais la majorité des organisations syndicales – la CGT, FO, la FSU, Solidaires – appuyée sur une très large opinion des salariés, continuent à exiger le retrait du projet de loi. La discussion parlementaire sur le projet de loi va durer jusqu’ au mois de juin. On ne peut exclure un « accident » parlementaire où le gouvernement ne parvient pas à faire adopter son projet et s’ouvre alors, une crise politique nationale.
De nouvelles manifestations sont prévues la semaine prochaine, le 5 et le 9 avril. Ce mouvement va s’étendre, s’approfondir, se durcir. La question de l’épreuve de force avec le pouvoir est posée. Comment articuler la préparation d’un mouvement d’ensemble qui mobilise la majorité de la population et ces nouvelles formes de luttes – occupation des places, de certaines zones, blocage de l’activité ? Comment combiner l’unité d’action syndicales et des formes d’auto-organisation de la jeunesse et des travailleurs ? Comment redonner force et crédibilité, non seulement à des journées de grève nationale, mais aussi à la perspective de grève prolongée si le gouvernement ne retire pas son projet ? Ce sont les questions qui vont, maintenant, se poser.
Olivier Besancenot, François Sabado, militants du Nouveau Parti Anticapitaliste( France)