Des élections parlementaires anticipées auront lieu ce dimanche en Grèce. Nos camarades de la LCR belge ont rencontré Tassos Anastassiadis lors de son passage en Belgique début septembre. Délégué du syndicat des journalistes et membre de la direction de l’OKDE-Spartakos (section grecque de la IVe Internationale intégrante de la coalition anticapitaliste Antarsya), Tassos n’est pas seulement un observateur, il est aussi partie prenante de ce qui se joue actuellement en Grèce et des débats qui animent la gauche anticapitaliste.
Comment analyses-tu la décision d’Alexis Tsipras de convoquer des élections anticipées pour ce 20 septembre, aussi bien en ce qui concerne sa position face aux institutions européennes que face à son propre parti, Syriza ?
D’après ce qu’on comprend, le nouveau programme [d’ajustement] va être très cruel et la décision d’aller vers des élections est une réponse à la gestion de cette nouvelle phase du capitalisme grec. A savoir que la plus grande partie des mesures qui vont être appliquées vont avoir une incidence sur les gens à partir du mois d’octobre (pas toutes parce qu’il y a déjà eu des coupes dans les retraites). Donc c‘est une question tactique. Ça c’est le premier aspect.
En deuxième lieu on pourrait dire qu’Alexis Tsipras a un problème par rapport à son propre parti, parce qu’on a connu une vraie scission et on voit même l’effritement des organisations de Syriza. Cela risque de prendre de grandes dimensions. Je pense que c’est une décision tactique d’aller vers des élections dans une situation où les gens sont complètement déboussolés, ça pourrait réduire les implications politiques pour Syriza.
Comment perçois-tu cette scission des députés, majoritairement de la plateforme de gauche, qui ont créé l’Unité populaire (UP) ?
Tout d’abord c’est très sain d’avoir des gens, y compris des parlementaires, qui veulent respecter leurs engagements, leur programme, etc. D’autre part, il faut dire que ça correspond bien à l’espoir qu’avait créé Syriza lui-même, au niveau de la société grecque, des travailleurs grecs, au niveau de la classe ouvrière, pour pouvoir se débarrasser de la politique d’austérité. Maintenant, c’est vrai que les termes avec lesquels cela a été fait ne sont pas très clairs. Les gens qui sont partis étaient coulés dans le même moule, dans la même conception de la politique selon laquelle ils auraient pu, avec une petite pression, arriver à stopper la politique d’austérité. Et les gens qui partent maintenant, la plateforme de gauche, la plupart d’entre eux, tout ce qu’ils pensent c’est qu’il fallait être un peu plus clair sur la monnaie [la question de l’euro].
Le nouveau programme de l’Unité populaire, en gros, c’est la démarche de Syriza plus la monnaie [une contribution de Tassos Anastassiadis analysera plus en détail le programme de l’UP dans le prochain numéro de La Gauche]. Et ce n’est pas suffisant à mon avis dans la mesure où, pour pouvoir stopper l’austérité, il faudrait être prêts à aller beaucoup plus loin, s’opposer à des intérêts réels européens mais grecs aussi. Il faudrait être en mesure de mobiliser les gens pour satisfaire des revendications concrètes de la classe ouvrière. A mon avis c’est très important pour créer un rapport de force mais aussi pour changer la politique.
Est-ce que le renoncement de Syriza n’exprime pas, quelque part, la faillite d’une certaine forme de faire de la politique ?
Tout à fait, il y a cet aspect. Parce qu’on peut discuter des questions programmatiques, comme j’essayais un peu de le faire, mais la façon de faire de la politique, la façon dont les partis sont organisés, ça joue énormément. Parce que même la manière dont Tsipras a eu la possibilité de prendre des décisions terribles qui engagent toute une société, sans avoir discuté avec son propre parti ou avec ses propres ministres, c’est quelque chose d’extravagant. Bien sûr on a vu que l’Europe est pire que ça, parce que même le parlement a dû voter des textes de lois de mille pages en l’espace de deux jours, donc sans avoir vraiment pu lire ce texte. Mais au niveau d’un parti qui veut émanciper, dans la mesure du possible, les travailleurs ou une société, c’est terrible d’avoir des structures comme ça.
Si on regarde dans les détails comment Syriza fonctionnait. On peut admettre que Tsipras a été la cible d’un chantage terrible, donc il a dû prendre une décision entre ce qu’il appelait « faillite désordonnée ou mémorandum », et il a accepté le mémorandum. Mais son parti lui a réclamé qu’on en discute, il avait deux jours pour discuter et voir collectivement si c’était la bonne décision.
Ils [la plateforme de gauche] ont voulu utiliser la formule des statuts de Syriza qui permet de convoquer un congrès extraordinaire d’urgence avec les délégués de l’année dernière. Les autres ont dit que ça n’était pas très démocratique, ok ça n’est pas très démocratique d’utiliser les délégués d’il y a un an. Donc il faut convoquer un nouveau congrès extraordinaire avec de nouvelles assemblées générales locales. C’est plus démocratique, ça prend un peu plus de temps, donc ils ont proposé d’organiser un congrès extraordinaire au mois de septembre. Une fois que cela a été voté au Comité central, deux semaines plus tard Tsipras a décidé que non, ce n’est pas la peine, on va démissionner du gouvernement et on va aller à de nouvelles élections sans avoir organisé le congrès.
Donc là aussi c’est un aspect essentiel, le fonctionnement. Nous les partis de gauche, on ne peut promettre abstraitement de changer le monde, il faut avoir les travailleurs avec nous, pour nous soutenir et pour les soutenir aussi, donc ça c’est un aspect essentiel aussi, la façon de faire de la politique.
De ce point de vue, quelles sont les perspectives aujourd’hui pour la gauche anticapitaliste grecque ?
Ce n’est pas très clair, il y a des aspects à la fois positifs et négatifs. Parce qu’une défaite, même d’un parti réformiste mais qui a créé un tel espoir, ça concerne aussi la gauche anticapitaliste. Donc dans le cadre global, il faut prendre en compte que pour les gens c’est une défaite, on ne peut pas l’appeler autrement. Défaite d’un projet de changement relativement facile au sein des institutions européennes. Donc même si nous, en tant que force anticapitaliste, on expliquait que ça ne serait pas facile, que ça ne se passerait comme ça, même pour nous ça continue de vouloir dire qu’il faut construire un rapport de force plus grand.
Mais d’un autre côté c’est vrai que le fait qu’il y ait une grande scission de gauche au sein de Syriza, de gauche ça veut dire qui remet en question peu à peu (pas en entier mais peu à peu) cette stratégie de négociation au sein des institutions, ça nous permet à la longue de renforcer l’idée qu’il faut détruire la base de ce complexe de l’Union européenne qui est un piège qui met les travailleurs les uns contre les autres, les nations les unes contre les autres, les Etats les uns contre les autres.
Je ne suis pas sûr qu’on va voir tout de suite aux élections la traduction concrète de cette idée mais je pense qu’à la longue on va voir émerger une nouvelle conscience de ce que représente réellement l’Union européenne. Et même si nous sommes internationalistes, européens (personne ne veut détruire l’Europe en tant qu’entité géographique ou culturelle), cette structure institutionnelle, cet ensemble de politiques, nous les anticapitalistes on les a analysés comme capitalistes et impérialistes. Mais là on voit très concrètement que c’est une machine de guerre contre les peuples, dans la mesure où les mêmes politiques, même si c’est de façon plus barbare en Grèce, les mêmes politiques sont menées en France, en Angleterre, en Belgique ou en Allemagne.
Le problème essentiel est de ne pas se laisser aller à ce sentiment de dire « on a perdu ». C’est une petite défaite mais ce n’est pas la fin du monde. Tsipras a peut-être capitulé mais il y a d’autres projets. Il est possible avec un programme politique, avec une force de mobilisation, de renverser les choses. Ça c’est une idée simple à expliquer. Et heureusement il n’y a pas qu’Antarsya, il y a les gens qui ont quitté Syriza qui le disent aussi, que ce n’est pas la fin du monde et qu’on peut lutter contre le plan d’austérité. Et ça, à mon avis, c’est le truc essentiel qu’on doit expliquer pendant cette campagne électorale. Mais il y a plus que ça, il y a la réalité, la preuve qu’une politique de négociation douce avec les grands capitalistes européens ne suffit pas à casser le programme d’austérité. Il y a une conscience beaucoup plus grande qu’il faut se préparer à des ruptures plus importantes. Se préparer idéologiquement, mais aussi politiquement et au niveau programmatique.
Les organisations de la gauche radicale n’ont pas résolu tous les problèmes stratégiques ni tactiques. Mais on peut approfondir cette idée qu’il faut une coordination des travailleurs, des forces politiques pour pouvoir abattre finalement les politiques européennes et grecques qui reproduisent l’austérité. Malgré la situation je reste optimiste, d’autant plus que les Grecs ont su mener des luttes même sectorielles ou locales. Ce n’est pas vrai d’ailleurs que ces dernières années il n’y a pas eu de luttes. Donc il s’agit de combiner, de pouvoir faire converger cette envie, cette puissance à la base, avec la perspective politique. Et je pense que les peuples européens et la gauche européenne ont là un travail très important à mener pour nous aider dans une perspective politique. Parce qu’aujourd’hui tout le monde comprend que l’UE n’est pas simplement un cadre, c’est aussi une machine de guerre.
Qu’est-ce qui a fait que l’Unité populaire et Antarsya n’ont pas pu se regrouper sur une même liste pour ces élections ?
Tout d’abord il y a une question de temps. L’UP est sortie de Syriza et il a fallu en l’espace de trois jours fabriquer un programme, des listes, etc. Dans les discussions il aurait peut-être fallu plus de temps. Je crois aussi qu’il y a un problème d’arrogance de la part de l’UP, parce que ce sont les gens qui se sont battus contre Tsipras et ils voulaient se présenter en tant que tels, sans prendre vraiment en compte le fait que la gauche anticapitaliste Antarsya existait. Malgré le fait qu’on a beaucoup collaboré. Donc l’arrogance par rapport aux discussions sur le programme, etcetera, ça a joué.
Pour le dire clairement je pense que la responsabilité en incombe à l’Unité populaire. Il aurait fallu discuter, faire un effort un peu plus avancé pour qu’on arrive à avoir une collaboration électorale. Cela il faut le préciser pour les gens qui nous lisent.
D’un autre côté on peut dire que nous non plus, on n’a pas tellement prévu la rapidité avec laquelle il y aurait une rupture. On n’était peut-être un peu trop exigeants, je ne sais pas. On a peut-être fait des erreurs aussi, je ne peux pas dire que nous sommes les meilleurs. Mais en tout cas, même après les élections, ce qui à mon avis est sûr c’est que toutes ces forces vont se retrouver dans les luttes, nous avons d’ailleurs déjà mené des luttes ensemble. Donc, dans la prochaine période, j’espère qu’on va avancer plus rapidement vers une convergence pas seulement sociale mais aussi politique.