Editorial de La gauche ouvrière, organe de DEA ( Gauche internationaliste ouvrière) courant gauche de Syriza.
Editorial traduit et publié par Alencontre le 2 - mai - 2015
Cet éditorial pointe, nous semble-t-il, les caractéristiques de la situation présente en Grèce où le gouvernement - mais aussi la gauche radicale, dans son ensemble - se trouvent ou vont se trouver très rapidement à la croisée des chemins, face aux pressions financières exercées par la troïka.
L’attitude des créanciers – qui mettent à profit la « tradition » de la désastreuse coalition gouvernementale de Samaras-Venizelos (juin 2012-janvier 2015) et des erreurs grossières qui entachent l’accord du 20 février accepté par le gouvernement dirigé par Syriza – conduit le pays vers un piège mortel. Celui d’une « obligation de payer complètement et à temps » les intérêts découlant de la dette publique, mais aussi celle conduisant l’Etat à faire face à ses devoirs envers la société (salaires, retraites, etc.) en mobilisant strictement ses ressources « internes », alors que nous faisons face à des restrictions strictes de la part du système bancaire pour ce qui a trait aux emprunts intérieurs.
Or, ce système bancaire a été « recapitalisé » grâce à des milliards d’euros par l’Etat, qui les a donc pris en charge par la dette publique et, par conséquent, a participé de manière fort importante à mettre en place la machine qui menace de nous garrotter aujourd’hui.
La récente loi adoptée par le Parlement [1] visant à rassembler les dernières ressources financières de l’ensemble du secteur public (municipalités, régions, hôpitaux…) et à les faire passer sous contrôle de la Banque nationale de Grèce – qui est toujours administrée, depuis juin 2014, par Yannis Stournaras, ancien ministre des Finances du gouvernement Samaras – prouve que le temps approche où le piège va se refermer [2].
Si le gouvernement ne trouve pas une « voie de sortie », il sera bientôt contraint de contracter un prêt afin de pouvoir payer les salaires et les retraites et non pas pour s’acquitter du paiement des intérêts de la dette. Et, alors, la pression politique sera extrême afin que le gouvernement Tsipras signe un troisième mémorandum (les deux premiers datent de mai 2010 et octobre 2011), ce qui est clairement l’exigence des créanciers comme condition « minimale » pour desserrer le nœud coulant.
Une telle évolution serait désastreuse pour le gouvernement – sous la forme de la mise en place d’un scénario favorable à sa « transformation » en un véritable gouvernement d’unité nationale – et catastrophique pour Syriza ; de même que pour les espoirs qui ont fleuri au cours de ces dernières années au sein des forces laborieuses de Grèce.
Pour échapper à ce piège, il faut faire engager un défaut de paiement envers les créanciers internationaux et nationaux. Cela afin de réunir toutes les forces et les ressources disponibles en vue de couvrir les besoins sociaux immédiats. Cela représente une option majeure de rupture. Une rupture avec les puissances internationales et des « institutions », comme l’UE, la BCE et le FMI, mais aussi avec les forces internes, c’est-à-dire celles qui ont adopté les mémorandums (les soi-disant « prêts » et leurs conditionnalités), qui les ont appliqués avec ferveur et se sont enrichies.
Des ruptures de telle ampleur ne peuvent pas être décidées au dernier moment. Il est nécessaire de se préparer pour y faire face. Ces préparatifs pour un gouvernement consistent à développer des solutions programmatiques alternatives et à développer des moyens susceptibles d’étayer et d’appuyer de telles mesures.
Une préparation de Syriza en éliminant sa passivité, en mettant en question le mécanisme consistant à faire que les décisions du gouvernement ne sont jamais discutées et sont présentées a posteriori au parti, et, dès lors, ne peuvent qu’être « enregistrées ». Une préparation qui implique des alliances qui se feront en commençant de suite par des discussions avec toute la gauche, qui, elle aussi, doit être préparée pour ce tournant. Une préparation de même avec la classe ouvrière et les couches populaires, conjointe à l’impératif d’exprimer toute la vérité sur la situation. Tout cela doit converger vers la constitution d’un vaste bloc socio-politique qui puisse s’affronter à des défis sérieux et à ses ennemis.
Sans de tels choix, sans répondre aux diverses facettes de cette préparation – indépendamment des intentions de responsables de Syriza qui restent attachés à leurs convictions –, le danger de présenter la soumission face aux créanciers comme la seule voie possible devient tous les jours plus grand.
(29 avril 2015, éditorial de Workers Left, quinzomadaire de DEA, traduction d’Antonis Martalis, édition A l’Encontre)
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[1] La dernière réquisition des fonds encore à disposition des entités publiques a été faite pour assurer le paiement des retraites et des salaires à la fin avril, début mai, dans la mesure où le gouvernement ne disposait plus de liquidités car ayant répondu aux obligations de la dette. Les forces qui avaient accepté et appuyé les mémorandums (Nouvelle Démocratie, PASOK, POTAMI-La Rivière), en critiquant cette dernière réquisition, visaient, de manière plus qu’hypocrite, à ce que les salaires et les retraites ne soient pas payés. De fait, elles ont toujours donné la priorité aux créanciers et non aux retraité·e·s et aux salarié·e·s.
La prise en compte de cette situation spécifique, comme l’a souligné le Red Network, dans une déclaration en date du 25 avril 2015, doit aboutir à renforcer le refus des chantages visant à ce que le gouvernement continue à faire face aux dites obligations des créanciers. Tout recul face aux créanciers ne peut que renforcer les positions des forces de droite, renforcer les positions des créanciers et décourager les forces qui ont soutenu Syriza. La déclaration du Red Network, insiste sur la nécessité de ne plus payer les intérêts de la dette et les « tranches » du principal. Ce qui est « une condition sine qua non pour l’élimination du mémorandum et de la politique d’austérité ». (Rédaction A l’Encontre)
[2] Le 29 avril, la BCE a élevé le plafond de son financement d’urgence (ELA – « emergency liquidity assistance ») des banques grecques. Il passe ainsi à 76,9 milliards d’euros. L’institution révise désormais chaque semaine le montant qu’elle alloue aux établissements financiers grecs. L’ELA est, depuis février, la seule aide fournie – mais placée sous conditions de la poursuite de la politique « mémorandaire » – par la BCE aux banques grecques.
La BCE n’accepte plus d’abonder les banques grecques qui déposent auprès d’elle en garantie des obligations de l’Etat. Cette mesure, qui était déjà exceptionnelle lors du gouvernement Samaras, a pris fin en janvier 2015, lors du changement de gouvernement. La BCE ne fait pas de politique, paraît-il !
Voici qui est un des fils du nœud coulant. Il faut de même avoir à l’esprit que les retraits de capitaux des banques en janvier et février 2015 s’est monté à 20,5 milliards. Ils continuent. La « dernière tranche d’aide » (sic), de 7,5 milliards, est suspendue à un accord avec l’UE, le FMI, la BCE. Voilà quelques éléments du piège. (Rédaction A l’Encontre)