Par Antonis Ntavanellos (membre de la direction de Syriza et de DEA). Antonis Ntavanellos était présent à la fête parisienne du NPA le 9 mai dernier (photo ci-contre - Photothèque Rouge/MILO)
Nous étions nombreux à ne pas partager la « légèreté convenante » » du récit pré-électoral de la direction de SYRIZA, récit qui a facilité la poussée vers les urnes, mais qui, dans la foulée, nous mettait face à une question : est-il possible de développer un programme anti-austérité radical sans outrepasser les limites de la tolérance de la zone euro et en acceptant les méthodes de négociation des « institutions » [terme qui remplace celui de troïka] ?
Aujourd’hui, nous connaissons la réponse : Non. L’Union européenne (UE) et le FMI tentent d’écraser SYRIZA en le plaçant devant le dilemme suivant : l’intégration absolue au système ou le renversement immédiat de ce gouvernement. Ils le font pour des raisons économiques, car une politique anti-austérité est incompatible avec l’actuelle politique des dominants. Ils le font aussi pour des raisons politiques, parce que l’Europe doit se protéger contre le danger de « transmission » du microbe SYRIZA-Podemos.
L’accord du 20 février 2015 [signé par le gouvernement d’Alexis Tsipras] a été une erreur majeure commise dans la suite du piège que pouvait constituer le « récit » pré-électoral [« cela peut se faire sans grosses difficultés »]. L’accord impliquait le remboursement de la dette « au complet et à temps ». Nous avons alors renoncé à l’« action unilatérale » sur la base de notre programme, ce qui aurait permis de construire une solide alliance populaire, un bloc social, autour du gouvernement de la gauche. Nous n’avons rien obtenu. L’« ambiguïté créative » [formule de Varoufakis] a travaillé et travaille en faveur des puissants.
Après le 20 février, nous avons tenté de défendre les « lignes rouges » [que nous ne pouvions franchir]. Elles étaient moins marquées et plus réduites que les engagements pris et présentés lors de la Foire internationale de Thessalonique [septembre 2014]. Ils étaient, eux, déjà inférieurs au programme de la conférence de SYRIZA [en 2013].
Aujourd’hui, les « lignes rouges » s’effacent. A propos des privatisations (drapeau emblématique du néolibéralisme), nous discutons des montants demandés, des modalités de la vente des entreprises publiques, du choix de celles qui le seront ou ne le seront pas. Et non pas de la question même de leur vente. Actuellement, sur le thème des impôts, nous considérons que l’ENFIA [1] et la hausse de la TVA constituent « des zones de concessions » possibles pour les créditeurs et non des mesures qui sont en lien direct avec l’amélioration de la vie des classes populaires, ce à quoi nous nous étions engagés avant les élections. Sur les assurances sociales et les retraites, nous garantissons les conquêtes des « actuels retraités », laissant ouverte la possibilité d’une contre-réforme, dans ces deux domaines, pour ce qui a trait aux générations futures de salarié·e·s. Pour ce qui est du « marché du travail », nous passons de l’engagement à rétablir le pouvoir des conventions collectives à la formulation nébuleuse des « meilleures pratiques de l’Europe », comme l’OIT les comprend. Cela avec le risque de découvrir que nous parlons, en fait, d’adopter un corporatisme néolibéral qui incorpore comme critères pour les conventions collectives : la stabilité financière et la compétitivité dans l’économie, etc.
Il est évident, pour toute personne qui souhaite examiner effectivement la situation, que nous avons été pris dans une spirale déclinante : dans une négociation où, dans chaque phase, nous sommes obligés de défendre notre monde, celui de la majorité populaire, chaque fois, en descendant d’un échelon.
Il est également évident où la pente empruntée nous conduit : nous obliger à signer le troisième mémorandum que les créanciers se préparaient à cosigner avec Antonis Samaras (premier ministre du 20 juin 2012 au 26 janvier 2015) et Evangelos Venizelos (du PASOK). Par ailleurs, le moment où l’escalade qualitative de la contre-attaque des créditeurs sera tentée est évident : lorsque le gouvernement sera contraint de demander un prêt pour payer les salaires et les retraites et non pas des tranches de la dette, car alors – estiment-ils – le gouvernement ne disposera pas du pouvoir politique pour élever la moindre objection.
La décision de payer jusqu’à aujourd’hui régulièrement les sommes exigées par les créanciers (décision qui a résulté de l’accord du 20 février) – bien qu’ils ne donnent pas un centime des prêts promis et dus en raison des accords antérieurs – a dangereusement épuisé les liquidités publiques, faisant que le moment critique est très, très près de nous.
Les conséquences politiques d’une telle retraite stratégique (parce qu’il n’est plus possible de parler de « compromis ») seront immédiates. SYRIZA ne peut pas être transformé en un parti pro-austérité. Les créditeurs ne seront pas d’accord, à moyen terme, de rester garants d’un accord avec le gouvernement actuel. Ils exigeront que soit payé le coût politique de « l’aventure » après le 25 janvier (élections). Le chantage sera exercé pour obtenir un « élargissement » du gouvernement Tsipras et le transformer peu à peu en un gouvernement d’union nationale ou même pour le renverser. L’activisme politique de Yannis Stournaras (actuel patron de la Banque nationale de Grèce et ancien ministre des Finances de Samaras) qui caresse le rêve d’un gouvernement « technique » à la Lucas Papademos (premier ministre de novembre 2011 à mai 2012), se situant dans le cadre de l’UE, doit être pris comme un avertissement.
Il y a un moyen de sortir de ce cercle vicieux, bien que cela soit plus difficile, chaque semaine passant où le paiement de la dette s’effectue conjointement à l’inaction : l’arrêt du paiement de la dette aux usuriers (défendre notre « liberté » et échapper au capital) ; l’application des décisions de la conférence de SYRIZA pour ce qui concerne les banques (impôts sur le capital et sur les riches pour financer des mesures anti-austérité) ; soutenir une telle politique par tous les moyens nécessaires, y compris un conflit avec l’UE et sur l’euro.
Une telle « coupure », ce qui serait normal après le 25 janvier, devrait aujourd’hui laisser ouverte la possibilité d’un renforcement du mandat populaire. Donc,vers des élections, à condition que ces options soient présentées de manière claire et nette par le gouvernement et disposent du soutien du parti SYRIZA.
Dans tous les cas, les décisions cruciales qui viennent ne sont pas possibles à prendre dans le cercle fermé du siège central d’un parti, même avec les meilleures intentions. Le parti (du Comité central aux sections locales) devrait être appelé à se prononcer. Le parti doit faire face à des vents contraires qui se font de plus en plus menaçants.
(Traduction Antonis Martalis, édition A l’Encontre, article publié dans le quinzomadaire La Gauche ouvrière, le 13 mai 2015)
[1] ENFIA, impôt immobilier imposé par le gouvernement Samaras. Il était censé être temporaire, il est devenu permanent. Il frappe y compris les logements et maisons vides. Il n’est pas lié aux impôts municipaux.