21 juillet - par Eric Toussaint, coordonnateur de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, président du CADTM Belgique et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
La capitulation du gouvernement et du parlement grecs face aux créanciers (Commission européenne, BCE, FMI...) a été suivie de changements rapides dans le camp du gouvernement.
Alexis Tsipras a remplacé 6 ministres et vice-ministres (membres de la plate-forme de gauche au sein de Syriza) qui s’étaient prononcés contre l’accord du 13 juillet, par des membres de Syriza qui soutiennent la nouvelle orientation. Alexis Tsipras a également démissionné un des porte-paroles du groupe parlementaire. Il s’agit d’Athanasios Petrakos qui a également voté non et qui avait appelé avec 54 autres députés (au départ ils étaient 49, voir) à la convocation d’une plénière du parlement pour débattre des conclusions préliminaires du rapport d’audit (présenté au parlement grec les 17 et 18 juin 2015). Si le changement de la composition du gouvernement est de la compétence du premier ministre, il n’en va pas de même de la désignation des porte-paroles du groupe parlementaire de Syriza. Seul, le groupe parlementaire pouvait prendre une telle décision.
A l’aide de nouvelles dettes qu’elle vient de contracter auprès des créanciers publics européens dans le cadre du nouvel accord, le 20 juillet, la Grèce a repris ses paiements au FMI et s’apprête à rembourser la BCE.
Il est probable qu’on aille vers d’autres changements négatifs.
Alexis Tsipras et la partie de Syriza qui le suit risquent bien d’adopter une politique de justification de l’inacceptable capitulation. Ils dépendent désormais de l’apport des voix de Nouvelle démocratie, de To Potami et du Pasok pour avoir une majorité. Cela pourrait changer si Tsipras remettait en cause sa capitulation et provoquait un nouveau vote au parlement pour rejeter l’accord. On voudrait y croire mais franchement cela paraît exclu. Même si, comme il faut l’espérer, les 39 députés qui n’ont pas voté pour l’accord maintiennent leur position et refusent de voter des lois qui prolongent et approfondissent l’austérité, la Nouvelle Démocratie, le principal parti de droite (il fait partie de la famille politique de Merckel, Juncker, Rajoy...) et les créanciers, imposeront leurs conditions à Tsipras.
En mai 2015, Alexis Tsipras s’était engagé devant le comité central de Syriza à ne pas signer d’accord sans une réunion préalable de cette instance de direction du parti. Il n’a pas tenu parole. Rappelons que lors de la réunion du CC du 24 mai, 75 membres avaient voté pour une radicalisation des positions (suspension du paiement de la dette, nationalisation des banques, la taxation des grosses fortunes, le rétablissement des droits des travailleurs,…. Cette proposition avait été rejetée par 95 membres. Alexis Tsipras n’a pas convoqué le comité central entre le 13 et le 15 juillet. Le 15 juillet, une dizaine d’heures avant la capitulation du parlement, 109 membres du CC, c’est-à-dire une majorité, ont signé une lettre pour exprimer leur opposition à l’accord du 13 juillet. Les deux principales régions du parti (Athènes et Thessalonique) s’étaient également prononcées contre l’accord, de même que l’organisation nationale de jeunesse de Syriza. Par la suite, plus de dix régions du parti ont fait de même. Pourtant le Comité central ne s’est pas encore réuni alors qu’une telle réunion s’impose dans un fonctionnement démocratique d’un parti confronté à des choix dramatiques.
Quand un dirigeant politique prend un tel cap, l’engrenage peut être fatal : la limitation de la démocratie dans le groupe parlementaire et dans le parti est utilisée pour mettre en pratique la nouvelle orientation.
Le changement est radical, les conséquences funestes seront nombreuses. Je présenterai dans les 10 jours mon explication sur pourquoi on en est arrivé là sans prétendre donner une analyse complète qui n’est pas à ma portée pour le moment. Parmi les causes de la tournure actuelle des évènements, il y a bien sûr l’inflexibilité des créanciers mais il y a également la stratégie suivie par la direction de Syriza et le gouvernement d’Alexis Tsipras : le refus de la direction de Tsipras de remettre en cause clairement et explicitement la légitimité et la légalité de la dette, la poursuite du remboursement de celle-ci, l’incompréhension de l‘importance de la réalisation d’un audit à participation citoyenne (même si Tsipras officiellement soutient l’audit), le refus de toucher aux intérêts des grands actionnaires des banques grecques qui sont pourtant responsables de la crise bancaire, le refus d’adopter une stratégie d’actes d’autodéfense face à l’inflexibilité et aux agressions des créanciers, le refus de préparer un plan B et de l’expliquer publiquement (qui pouvait y compris aller jusqu’à une sortie de l’euro), l’illusion que par la seule négociation les créanciers finiraient par faire des concessions suffisantes pour que Syriza et la Grèce puissent sortir des rails de l’austérité, le refus d’évoquer la nécessité d’un processus constituant (la nécessité de changer de manière démocratique la constitution grecque), l’incompréhension du rôle central des mobilisations qu’il aurait fallu encourager… J’expliquerai pourquoi le choix le plus urgent n’était pas entre rester ou non dans l’eurozone. Le choix était entre négocier sans rapport de force ou bien faire cinq choses en priorité 1. suspendre le paiement de la dette (tout en réalisant l’audit), 2. résoudre la crise bancaire en cours (ce qui impliquait de rentrer en conflit avec les grands actionnaires privés responsables de la crise) ; 3. Créer une monnaie complémentaire ; 4. élargir les mesures face à la crise humanitaire (des mesures importantes ont été prises par le gouvernement depuis février 2015, elles auraient dû être élargies) ; 5. faire rentrer des ressources dans les caisses publics par des mesures fortes aux frais des secteurs privilégiés en commençant par le 1% le plus riche et par les grands fraudeurs (voir différentes mesures proposées).
Dans la période dans laquelle nous sommes entrés, le gouvernement devient de fait co-responsable de la poursuite de la violation de droits humains fondamentaux en contradiction avec les obligations internationales de la Grèce. Il s’agit du non-respect des droits tels que le droit à un salaire décent, à une retraite décente, à un travail décent, à des services de santé et d’éducation de qualité, au respect des droits des travailleurs, au respect du vote démocratique (en l’occurrence la victoire du non au référendum du 5 juillet)… . Bien sûr les créanciers (les gouvernements des 14 Etats membres de la zone euro qui ont prêté à la Grèce en imposant des conditions inacceptables, la Commission européenne qui les accompagne, la BCE, le FMI) sont les premiers responsables des violations commises. Mais à partir de maintenant, le gouvernement d’Alexis Tsipras devient le complice direct des créanciers parce qu’il s’est plié à leurs exigences et parce que, comme le prévoit l’accord, il va leur soumettre toutes les lois et mesures importantes qu’il compte adopter. Il y aura des clashs entre le gouvernement de Tsipras et les créanciers, mais le piège s’est refermé et franchement je ne crois pas que Tsipras sera prêt à faire le tournant à 180° que devrait lui dicter sa conscience et que demande une grande partie de Syriza. J’espère me tromper.
L’accord du 13 juillet prévoit une augmentation de la dette de plus de 80 milliards d’euros. Cette nouvelle dette sera tout aussi illégitime, illégale, odieuse et insoutenable que celles contractées par les gouvernements précédents car elle est accumulée à la condition de poursuivre une politique de violation des droits humains.
Je reviens sur la séance du parlement au cours de laquelle l’accord a été adopté. J’étais présent. En début de séance, la présidente du parlement a proposé que le parlement prenne le temps de débattre sérieusement avant de passer au vote de l’accord. Suite à un accord passé entre Syriza, les Grecs indépendants (ANEL), le PASOK, la Nouvelle démocratie et To Potami (ce nouveau parti de droite pro-institutions européennes et pro-austérité), le parlement a repoussé cette proposition et a accepté la demande des créanciers de passer aux votes avant minuit le 15 juillet. Cela ne donnait grosso modo que 4 heures pour présenter l’accord, donner la parole à un nombre très limité de parlementaires et passer aux votes. Pendant trois heures, la séance s’est déroulée en l’absence du premier ministre et d’une grande partie des ministres et vice-ministres. Les dirigeants du Pasok, de Nouvelle Démocratie et de Potami se sont réjouis de l’accord à la conclusion duquel ils ont contribué activement. Ils ont tous déclarés que cet accord contenait des exigences beaucoup plus dures que celles contenues dans la précédente proposition des créanciers qui avait été soumise au référendum du 5 juillet au cours duquel ils avaient appelé à voter OUI. Ils ont blâmé Syriza d’avoir fait croire de manière démagogique à la population qu’il était possible de sortir des rails de l’austérité. Nouvelle Démocratie et le PASOK ont eu l’occasion du coup de minimiser le désastre causé par leur gestion passée. Le porte-parole d’Aube dorée a dénoncé l’accord qui ne respecte pas le vote démocratique du 5 juillet, c’est-à-dire la victoire du Non au référendum, et a expliqué que son parti était le seul à véritablement résister face aux créanciers. Le Parti communiste, qui avait appelé à s’abstenir lors du référendum, a dénoncé Syriza, a rejeté l’accord, a proposé de suspendre le paiement de la dette... Kamenos, le président des grecs indépendants, ministre de la défense, a déclaré que l’acceptation de l’accord du 13 juillet constituait une « capitulation » (sic) qui est le résultat d’un « chantage » (sic) et d’un véritable « coup d’État » (sic). Il a ajouté, je cite : « La Grèce capitule mais ne se rend pas » (sans commentaire) et a demandé à tous les députés de la majorité de voter en faveur de l’accord. Il s’agissait d’une pression de sa part sur ceux des députés de Syriza qui s’apprêtaient à rejeter l’accord. Tous les intervenants de Syriza ont défendu l’accord sauf Zoe Konstantopoulou. Le ministre Stathakis en charge de l’économie a expliqué que trois points importants sont positifs dans l’accord :
la dette qui pourra être restructurée (or elle va augmenter comme mentionné plus haut) ;
la réduction de l’excédent budgétaire exigé de la Grèce ;
le sauvetage des banques.
Par ailleurs, il a reconnu que le reste de l’accord contenait des choses négatives. Rappelons que Stathakis avait déclaré en 2013 que seuls 5 % de la dette grecque étaient odieux. C’est lui aussi qui, le 12 juillet dernier, a affirmé que les députés de Syriza qui n’avaient pas soutenu la proposition d’accord avancée par le gouvernement de Tsipras, le Pasok, la Nouvelle démocratie et Potami devaient remettre leur mandat de député. Zoe Konstantopoulou a pris la parole pour dire que le peuple s’est prononcé contre l’accord le 5 juillet et qu’il fallait respecter ce refus .
Alexis Tsipras qui a rejoint la séance du parlement autour de minuit a finalement pris la parole pour expliquer qu’il avait signé l’accord le 13 juillet dans un contexte de chantage. Il a reconnu que l’accord était mauvais mais a quand même expliqué qu’il y avait trois points positifs : la dette qui sera restructurée, les banques sont sauvées et l’apport de 35 milliards dans le cadre du plan Juncker devrait permettre à la croissance de redémarrer dans les années qui viennent. Or ces 3 points ne sont pas crédibles. Le nouveau président de Nouvelle démocratie a pris la parole pour expliquer que son parti soutenait cet accord bien qu’à cause de l’irresponsabilité de Syriza et du gouvernement Tsipras les créanciers aient durci leurs exigences.
Finalement on est passé au vote nominal. Tous les parlementaires du PASOK, de Nouvelle démocratie de Potami et des Grecs indépendants ont voté pour l’accord. Tous les députés du Parti communiste et d’Aube dorée ont voté contre. Les 149 députés de Syriza se sont divisés : 32 ont voté contre (dont plusieurs ministres et vice-ministres, Zoe Konstantopoulou, présidente du parlement et l’ex-ministre des finances Yannis Varoufakis, (voir son explication), 7 se sont abstenus. L’accord a donc été adopté grâce à la droite pro-austérité et à la capitulation d’Alexis Tsipras et d’une partie de Syriza.
Au cours des deux jours qui ont suivi, Zoe Konstantopoulou et moi avons participé à deux conférences publiques pour présenter les résultats préliminaires de l’audit de la dette. Lors de la première conférence tenue le 16 juillet à la faculté d’économie, il y avait plus de 350 personnes ; à la deuxième tenue à la faculté de droit, il y en avait plus de 250 (une écrasante majorité de jeunes). Les participants étaient unanimement contre l’accord.
Il est difficile de prévoir qu’elle sera l’ampleur des protestations dans les mois qui viennent. La grève appelée le 15 juillet par le syndicat des services publics (dont la direction très divisée est composée de membres de Nouvelle démocratie, du Pasok, de Syriza, d’Antarsya, du PC...) n’a pas été massivement suivie, ce qui était prévisible. Le 15 au soir, alors que le parlement commençait à se réunir, des manifestants de gauche qui protestaient dans les rues ont été durement réprimés (alors que ce n’était plus arrivé depuis le 25 janvier 2015). La police a procédé à des dizaines d’arrestation et une vingtaine de manifestants sont convoqués au tribunal le 22 juillet. Mercredi 22 juillet, le parlement grec devra également se prononcer pour de nouvelles lois qui correspondent à des exigences des créanciers. La situation se tendra à nouveau.
On est entré dans une nouvelle période.
Dans des conditions très difficiles, il va falloir renforcer la solidarité avec le peuple grec.