La presse française en a peu ou pas parlé … au contraire des médias grecs dont on peut réellement dire qu’ils ont fabriqué l’événement. Jeudi 16 avril a eu lieu au centre d’Athènes un rassemblement et une manif ouvrière… totalement pris en charge par le patronat et l’encadrement, avec soutien de tout ce qu’Athènes compte de ramassis réacs.
On en a parlé à plusieurs reprises : au nord de la Grèce, pas très loin de Salonique sont exploitées des mines d’or, très fortement polluantes. Le géant de la région, l’entreprise canadienne, Eldorado Gold, prétend depuis plusieurs années étendre ses activité du côté de la ville de Skouriès, ce qui avait déclenché une énorme mobilisation locale des habitants, avec rassemblements, affrontements violents avec les flics du gouvernement Samaras. Plusieurs éléments ont pu très tôt être mis en lumière : l’ex-gouvernement de la troïka était aux ordres du patronat, et a employé des méthodes de violence barbare contre les habitants mobilisés, avec véritables descentes des forces dites de l’ordre dans leurs habitations pour les terroriser. Par ailleurs, cette société s’embarrasse peu de la légalité, et a foncé dans la destruction de forêts pour ouvrir son nouveau chantier, malgré les absences d’autorisation. Enfin, elle a réussi à instrumentaliser les travailleurs de l’entreprise, en les tournant contre les habitants mobilisés et les acculant ainsi à ne dépendre que d’elle … et des députés du groupe nazi Chryssi Avgi (Aube dorée) venus leur apporter leur soutien « contre les terroristes » !
Descente réactionnaire sur Athènes
On pouvait espérer qu’avec la mise en place du gouvernement Syriza, cette question, parmi les plus populaires pour la gauche de terrain, allait trouver une solution radicale : interdiction d’ouvrir une nouvelle mine. Or, là comme sur d’autres terrains, le gouvernement Tsipras discute mais n’agit pas, alors que la droite revancharde et les nazis ont très bien vu eux l’exploitation possible des ouvriers mineurs désorientés ! Résultat : une véritable bataille rangée il y a quelques semaines entre habitants et mineurs... qui ont reçu le renfort des MAT (CRS) qui ont chargé violemment les habitants.
Et surtout, l’organisation jeudi 16 avril d’une descente sur Athènes de 4000 mineurs avec leurs familles, entièrement prise en charge et encadrée par la direction de l’entreprise ! On passe sur les 85 trajets en bus offerts, sur les gilets jaunes et casques tout neufs portés par les mineurs et leurs familles. Le plus important est la mise en scène de cet événement : des tonnes de télés sur place dès la matin, pour saluer sur toutes les chaînes ces braves travailleurs… sans un mot cette fois sur le blocage du centre ville. Et des commentaires délirants sur cette manif, alors que le soir-même, le contre-rassemblement de soutien aux habitants de Skouriès (2000 manifestants) était à peine mentionné… sauf pour montrer, ô surprise, quelques encagoulés lanceurs de cocktails molotov.
Une image a fait frémir : à plusieurs reprises, on a vu des groupes de mineurs taper avec leurs casques des grilles de fer, dans une claire comparaison avec les casseroles vides des bourgeoises d’Amérique latine contre des gouvernements de gauche. Et pour donner en prime un air de « Manif pour tous » à ce rassemblement clairement instrumentalisé, on a vu un ex-ministre de Samaras, espèce de bouffon teigneux ex-fasciste passant sur toutes les chaînes, prendre la tête de la manif avec un casque ouvrier sur la tête, avec images en boucle.
Bref, le message était clair : la "vraie Grèce", saine et anti-syndicale, est de retour, face au gouvernement protégeant les écolos-terroristes qui, d’après certaines banderoles, ne seraient pas les « vrais habitants » de la région de Skouriès.
Gagner à Skouriès, un enjeu national
L’événement a beau avoir fait le plein de ridicule et de mauvais goût, il n’en demeure pas moins inquiétant par le succès de sa mise en scène et sa dimension éminemment politique. Et il appelle donc une réponse forte et massive et de la population (de nombreux comités existent dans le pays) et du gouvernement. Or, de ce côté, malgré les protestations de pas mal de responsables contre l’emploi de la police contre les habitants de Skouriès, Tsipras est allé en début de semaine féliciter le ministre des flics et renforcer l’opération de propagande « maintenant la police est au service de la population »... Quand on sait l’influence des nazis dans ce corps de répression, on ne peut que douter du succès de cette volonté de démocratiser la police !
Côté travailleurs de la mine, il est clair que l’objectif est bien sûr de casser le lien de soumission établi par le patron sur les mineurs, mais cela ne pourra se faire que sur une base claire : pas question d’accorder la possibilité à Eldorado Gold de s’étendre. Et sur cette base, obtenir la garantie de l’emploi ou de la reconversion sur place. Il semble aux dernières nouvelles que plusieurs mineurs aient le sentiment de s’être fait manipuler par un employeur qui n’a même pas cherché à obtenir les autorisations légales. C’est peut être le début d’une contradiction qui peut aider à renverser la vapeur.
Gagner à Skouriès aurait une portée nationale évidente, ce serait une défaite cinglante du patronat et de la troïka qui considèrent toujours que la Grèce est à vendre !
D’Athènes, A. Sartzekis