Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) - Ille et Vilaine (35)
  • Le congrès de Tours et les militant.e.s socialistes d’ Ille-et-Vilaine.

    En cette période de commémoration du centenaire du congrès de Tours qui débouche sur la scission du parti socialiste et la création du parti communiste, une abondante production revient sur cet événement majeur dans l’histoire du mouvement ouvrier français. Nous nous bornerons ici à proposer quelques lectures et à indiquer quelques documents de référence. En revanche, nos lecteurs trouveront ci-dessous des éléments historiques sur le positionnement des militants socialistes d’Ille-et-Vilaine, plus particulièrement ceux de Fougères et de la région malouine que nous connaissons mieux.
    Celles et ceux qui ont alors fait le choix d’inscrire leur combat dans les orientations de la IIIème Internationale, celle fondée par Lénine et Trotski et à laquelle s’agrègeront d’autres courants révolutionnaires, sont en effet les fondateurs locaux de nos conceptions politiques et du mouvement communiste auquel nous appartenons toujours. Nous leur devions bien ces quelques lignes.

    Au sortir de la grande boucherie de 1914-1918, le parti socialiste SFIO compte plusieurs centaines de membres en Ille-et-Vilaine , répartis entre les sections de Rennes, Fougères, Saint-Malo- Saint-Servan, Dinard, Dol-de-Bretagne, Vitré .
    Lors de la séquence électorale de novembre-décembre 1919 (scrutin législatif puis cantonal et municipal), le parti s’est renforcé (1) dans le département : il a obtenu son premier député en la personne de l’instituteur et mutilé de guerre Albert Aubry et son premier conseiller général, le cheminot Eugène Quessot, élu dans le canton de Rennes sud-est. En revanche, au plan municipal, sauf à Rennes ou la stratégie d’union avec le maire sortant Janvier s’est avérée efficace électoralement parlant (8 élus, dont Quessot, Rébillon, Leprince, Bougot, Bardet, Commeurec), les résultats demeurent décevants (2) .

    Fin novembre et début décembre 1920, les sections d’Ille-et-Vilaine du Parti socialiste sont appelées à se réunir en assemblées préparatoires au congrès national de la SFIO. Le débat se polarise notamment sur la question de l’adhésion du parti à la IIIème Internationale, créée à Moscou par les bolcheviks en mars 1919. Le principe de l’adhésion est portée par la motion Cachin-Frossard, appuyée sur le Comité (français) pour la IIIème Internationale, et est fortement combattue par la motion Blum. Une troisième motion, défendue par Longuet, tend à accepter l’adhésion mais rejette certaines de ses conditions.

    Lors de son assemblée générale, la section de Rennes donne la majorité à la motion Cachin-Frossard par 61 voix sur 119. Cette motion est soutenue par Louise Bodin, alors membre de la commission administrative du quotidien l’Humanité. Les motions Blum et Longuet ne recueillent respectivement que 37 et 21 voix.
    La section de Fougères forte de 150 adhérents dont une grande proportion d’ouvriers, rassemble 77 votants lors de son AG : la motion Cachin - Frossard, défendue par le coupeur en chaussures Louis Boudet, secrétaire de la section et adhérent au Comité pour la IIIème internationale depuis 1919, remporte 50 voix contre 24 à la motion Longuet, présentée par Henri Lepouriel, militant et dirigeant coopérateur, et 3 à la motion Blum. A la section de Laignelet qui rassemble les ouvriers habitants dans le quartier des Cotterêts, la motion Cachin l’emporte également (11 voix).
    En ce qui concerne la section de Saint-Malo – Saint-Servan (3), qui est composée pour une grande partie de cheminots et de fonctionnaires et dont l’AG se tient le 12 décembre, la motion Longuet l’emporte par 39 voix, contre 14 à celle de Cachin-Frossard et 9 à Blum. A Dinard, où le cheminot François Bigot, secrétaire de section, est très actif et influent, c’est la motion Cachin-Frossard qui est majoritaire (26 voix) contre 10 à celle de Longuet et 5 à celle de Blum .
    Enfin, à Vitré, 5 voix se portent sur la motion Longuet, 5 sur celle de Cachin et 4 sur celle de Blum. Il semble que la section de Dol-de-Bretagne ne se soit pas réunie pour voter(3) .

    Sur l’ensemble du département, la motion Cachin-Frossard, la plus à gauche, l’emporte donc. Mais, la fédération d’Ille-et-Vilaine, après avoir réparti ses mandats lors de son congrès du 19 décembre à Saint-Malo (8 mandats pour la motion Cachin-Frossard, 4 à celle de Longuet et 3 à celle de Blum), considérant la division régnante, décide de ne pas envoyer de délégué au congrès national de Tours . Elle confiera ses mandats à un militant de la section de Saint-Denis, Jules Puzela, qui était défavorable à l’adhésion à la IIIème Internationale mais qui respectera dans l’ensemble les positions exprimées par les adhérents d’Ille-et-Vilaine.

    On sait que le congrès de Tours se conclut par la scission, les minoritaires de la motion Blum, rejoints par une grande partie des « longuettistes » décidant de quitter le parti pour « garder la vieille maison ». Au plan départemental, les majoritaires de la motion Cachin-Frossard mettent donc en place les nouvelles structures de l’organisation qui s’appelle encore pour un temps parti socialiste, mais avec la précision «  section française de l’internationale communiste ». Au niveau fédéral, le premier congrès se tient le 30 janvier 1921 à la Bourse du Travail de Saint-Malo. La direction de la fédération est confiée à la féministe et pacifiste rennaise Louise Bodin . Dès le début de l’année 1921, celle-ci reprend le titre du journal de la section fougeraise La Voix Socialiste pour en faire l’organe de la fédération d’Ille-et-Vilaine. C’est le fougerais Louis Boudet qui en assurera l’administration.
    Ce même jour, la section communiste de Saint-Malo est constituée autour du plâtrier Augizeau, du cafetier Martin et du cheminot Hervé en présence de Palicot, du comité directeur du nouveau parti et des dirigeants des autres sections du département, Guyomard de Rennes, Boudet de Fougères et Bigot de Dinard.

    Le 21 mars 1921, les minoritaires fougerais des motions Longuet et Blum reconstituent une section du parti socialiste « section française de l’internationale ouvrière » autour d’Henri Lepouriel. Un an plus tard, elle aura triplé ses effectifs cotisants si l’on en croit son journal fédéral L’Aurore d’Ille-et-Vilaine . Et en mai 1921, la fédération d’Ille-et-Vilaine de la SFIO est reformée autour des sections de Rennes et de Fougères. Un groupe SFIO se reconstitue à Saint-Malo à partir de janvier 1922 autour du postier Chenevières et du cheminot Poirier.

    La scission politique se traduira très rapidement par des polémiques entre les deux formations, notamment par presse interposée. Les colonnes de La Voix Socialiste, du Semeur d’Ille-et-Vilaine, bi-hebdomadaire de l’Union Départementale CGT, dont les dirigeants sont restés fidèles ou proches de la SFIO, puis de l’Aurore d’Ille-et-Vilaine accueilleront de nombreux articles où les dirigeants des deux partis échangent parfois insultes et propos acides.
    La scission aura aussi des conséquences dans la CGT. A l’instar du syndicat des cheminots de Saint-Malo, la réélection des exécutifs syndicaux se fera parfois en 1921 en "mode bicéphal" et nombre des réunions syndicales ou politiques seront plus ou moins houleuses, tant à propos de divergences locales que de clivages départementaux ou fédéraux, notamment dans les syndicats des cheminots et du bâtiment.
    Nous ne disposons que de rares éléments documentés pour apprécier l’évolution à moyen terme des effectifs demeurés au parti communiste ou rassemblés dans la SFIO maintenue (6). L’hypothèse la plus crédible est cependant que la scission se traduit par un effritement global des effectifs organisés, ainsi que ce sera également le cas au plan syndical après la scission CGT – CGTU de la fin de l’année 1921 et donc d’un recul de l’influence politique de la gauche marxiste dans son ensemble.

    Autant dire que le prix à payer de cette clarification qui solde la politique de la SFIO pendant la guerre 1914-1918 et l’échec de la vague révolutionnaire de 1919-1920, est lourd. Le mouvement ouvrier mettra près de 15 ans à se remettre de ses divisions, pas de manière définitive d’ailleurs…, car entretemps la nuit staliniste l’aura en partie recouvert.

    (décembre 2020)


    Pour aller plus loin :
    Documents sur l’Ille-et-Vilaine
     Jacques THOUROUDE, la CGTU en Ille-et-Vilaine (1922 - 1935) – mémoire de maîtrise, Rennes II, 1987
     Yves LE FLOCH, la scission syndicale en Ille-et-Vilaine (1919-1922) – mémoire de maîtrise 1972
     Edouard DESCOTTES, Louise Bodin et le jeune parti communiste en Ille-et-Vilaine (1917-1929), Rennes II, 1988, 70 p.
     Colette COSNIER, La bolchevique aux bijoux : Louise Bodin, éd. Pierre Horay, 1988, 198 p.
     Daniel BOUFFORT, Sortie de guerre : braises sociales et syndicales, espoirs et divisions dans le mouvement ouvrier fougerais, 1918-1923, in Art et Histoire, pays de Fougères, 2018

    références bibliographiques générales
     Parti socialiste, Section Française de l’Internationale Ouvrière, 18ème congrès national, tenu à Tours, les 25, 26, 27, 28 29 et 30 décembre 1920, compte rendu sténographique,1921, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k215450z/f1
     le n°121 de notre revue mensuelle « l’Anticapitaliste », spécialement consacré à la « naissance du parti communiste », 2020, 4,5 €
     Julien Chuzeville, Un court moment révolutionnaire. La création du Parti communiste en France (1915-1924), Paris, Éditions Libertalia, collection « Ceux d’en bas », 2017, 529 pages, 20 €.
     Romain Ducoulombier, Camarades ! La naissance du Parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010, 430 p


    Notes
    (1) La fédération socialiste d’Ille-et-Vilaine n’est pas franchement une « grosse » fédération de la SFIO : elle compte une centaine d’adhérents début 1919 mais se renforce significativement pour atteindre 800 membres au début de l’année 1920.
    Contrairement à Rennes ou à Fougères où des sections socialistes sont actives bien avant la guerre, la section SFIO de Saint-Malo – Saint-Servan ne semble se constituer formellement qu’à l’occasion d’une réunion publique tenue le 26 octobre 1919 à l’initiative d’un groupe de cheminots.
    (2) La liste socialiste n’a aucun élu à Fougères. A Saint-Malo, les socialistes qui étaient présents sur la liste radicale de Gasnier-Duparc obtiennent un élu (l’électricien Jean Le Gorgu). Dans la même configuration à Saint-Servan, aucun socialiste n’est élu
    (3) La section SFIO de Saint-Malo – Saint-Servan est alors dirigée par trois syndicalistes cheminots (CGT), Jean (dit Albert) Balluais, Jean-Marie Galez et Alain Leborgne, le premier étant favorable à l’adhésion à la IIIème Internationale, ses deux camarades y étant plutôt opposés. Balluais quittera Saint-Malo au moment de la scission, à l’occasion d’une mutation professionnelle en qualité d’ajusteur à Argenteuil. Il reviendra cependant à plusieurs reprises animer des réunions syndicales. Également ajusteur à la gare de Saint-Malo où il est en fonctions depuis 1915, Galez a été candidat sur la liste socialiste aux élections législatives de 1919. Il est secrétaire du syndicat des cheminots et secrétaire adjoint de l’union des syndicats de la région malouine jusqu’en 1922, date à laquelle il est muté à Achères. Leborgne qui est lampiste aux chemins de fer, assure le secrétariat de la section socialiste. Il sera élu au conseil municipal de Saint-Malo de 1925 à 1941. Après la scission syndicale, il comptera cependant parmi les membres de la CGTU.
    (4) François Bigot, arrivé à la gare de Dinard comme facteur-receveur en avril 1920, avait organisé le 31 août 1920 une réunion publique à Dinard animée par le talentueux conférencier socialiste Rappoport, favorable à l’adhésion du parti à la IIIème Internationale, puis une seconde réunion le 11 septembre 1920 avec Klemczynski, syndicaliste et militant socialiste très actif, qui se situait dans la tendance Longuet. Bigot animera le courant communiste à Dinard pendant une quinzaine d’années.Il sera le premier communiste élu conseiller municipal en Ille-et-Vilaine ;
    (5) La section de Dol-de-Bretagne est composée pour l’essentiel de cheminots. Ceux-ci ont été très actifs pendant la grève des chemins de fer de mai 1920 et pas moins de 7 cheminots syndicalistes ont été sanctionnés d’une révocation (Roullin, Mérel, Blanchard, Coeuré, Lemasson, Yvonnet, Thomas). La section socialiste a-t-elle été désorganisée par cette répression féroce ?
    (6) A Saint-Malo, le groupe communiste semble ne rassembler que 9 militants (dont seulement 5 cotisants) à la fin de l’année 1921 (selon un rapport en date du 14/12/1921 du Commissaire spécial, ADIV 5Z 40). De son côté, la section SFIO ne semble comporter que 5 ou 6 membres en janvier 1922, si l’on en croit le même commissaire spécial (Rapport du 21/01/1922 - ADIV 5Z 40),

    Portfolio

    • Louis BOUDET (collection particulière)
    • Louise BODIN (collection particulière)