Entretien avec Antonis Natvanellos, un des dirigeants de l’organisation grecque DEA (Gauche ouvrière internationaliste), une des composantes de la gauche de Syriza à la 4eme Fête Anticapitaliste du Npa, le 9 mai 2015 à Paris
En ce moment se discute un nouvel accord entre l’Eurogroupe et la Grèce. Où en sont ces discussions ?
L’Union européenne, la BCE et le FMI mettent la pression sur le gouvernement grec, en utilisant le besoin urgent de « liquidité » qu’ils ont eux-mêmes créé, pour imposer des contre-réformes du « mémorandum » qu’ils avaient précédemment négocié avec le gouvernement de Samaras-Venizelos. Les raisons de cette attitude rigide sont financières : une politique anti-austérité est incompatible avec les choix prépondérants dans l’Union européenne pendant la crise. Mais ce sont aussi des raisons politiques : les dirigeants européens veulent isoler le « virus » Syriza-Podemos avant qu’il ne se propage en Europe.
Face à cela, le gouvernement Tsipras se défend par des demi-mesures. Il se contente de définir des « lignes rouges » pour les négociations : sur les privatisations, les lois sur les relations de travail, les hausses de taxes payées par les classes populaires, les nouvelles réductions des pensions…
A. Tsipras se dit optimiste sur la possibilité d’un accord, mais l’Europe met la pression pour la mise en œuvre de nouvelles mesures d’austérité. Comment résister à cette pression ?
Si l’Union européenne arrive à imposer une nouvelle politique d’austérité, elle ne se limitera pas à celle-ci. Elle en fera aussi payer à Syriza le coût politique, au départ par l’ouverture du gouvernement au parti néolibéral Potami, et ensuite par la pression pour un gouvernement d’union nationale, avec ou sans Tsipras comme Premier ministre… Une vraie stratégie pour effacer le résultat des élections du 25 janvier.
Nous, au sein de Syriza, nous soutenons un projet de rupture : arrêt du paiement des intérêts, perspective d’annulation de la majeure partie de la dette, nationalisation des banques, abolition de la « liberté » de circulation des capitaux qui permet leur fuite, lourdes taxes sur le capital pour financer les programmes anti-austérité… Cette politique est inévitablement liée à une politique de confrontation avec l’Union européenne et le FMI, et donc clairement pas la recherche d’un compromis.
La Commission pour la vérité sur la dette grecque présentera le 18 juin une évaluation préliminaire sur la légalité de la dette grecque. En quoi cette question est-elle centrale ?
La question de la dette est absolument centrale pour l’affaire grecque. Le rapport de la Commission, dont nous savons tous qu’il délégitimera une grande partie de la dette, sera extrêmement utile. Nous sommes reconnaissants envers ceux qui, comme Éric Toussaint, travaillent dans ce sens.
Mais il y a des conditions importantes pour que tout cela nous soit pleinement utile : que le travail de la Commission soit lié à une stratégie de résistance, avec donc aucun compromis avec les créanciers ; qu’ensuite on avance rapidement parce que les décisions les plus importantes ne peuvent plus être reportées.
En ce sens, le travail de la Commission est soutenu par la partie la plus radicale de Syriza, ainsi que par une partie des cadres d’Antarsya.
Comment apprécier les mesures mises en œuvre par le gouvernement Tsipras, 100 jours après son arrivée au pouvoir ?
Au cours des 100 premiers jours, le gouvernement a pris des mesures contre la pauvreté extrême, ainsi que certaines mesures de démocratisation, mais il a aussi suspendu l’application du programme minimum (le programme dit de Thessalonique) pour chercher une solution par la négociation avec l’Union européenne. Tout cela a rafraîchi les relations du peuple avec Syriza. Ce problème, ainsi que la réduction extrême des réserves financières du gouvernement grec (suite au paiement régulier des tranches de la dette) sont les conséquences les plus négatives de l’accord du 20 février, un piège dangereux pour Syriza.
Quels sont les rapports entre Syriza et le gouvernement ?
On peut dire que la conscience moyenne de Syriza se situe nettement sur la gauche de ce gouvernement. Ainsi l’exigence d’un changement de politique à l’égard des prêteurs et de la classe dirigeante grecque bénéficie d’un large soutien. De plus au sein de Syriza s’est développé un fonctionnement démocratique qui permet un large débat politique.
Qu’en est-il des conflits sociaux et de la mobilisation populaire depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza ? Que penser du 1er mai dans ce contexte ?
Nous espérions que la victoire politique de Syriza conduirait à une explosion des luttes, des exigences et des revendications. Cela n’a pas été le cas. Un état de passivité s’est installé en Grèce, aujourd’hui dans l’attente de l’issue des négociations. Tout le monde discute de politique, mais rares sont celles et ceux qui sont mobilisés.
Pour relancer cette mobilisation populaire, il y a bien entendu la responsabilité de Syriza, des dirigeants syndicaux, des dirigeants et organisations de « l’autre gauche »… Mais il y a aussi un facteur général, plus « objectif » : le monde est confronté à des problèmes stratégiques et tactiques sans précédent, et on n’a pas encore trouvé les moyens d’y remédier. C’est aussi dans ce cadre que la mobilisation du 1er mai a été un échec.
Néanmoins, nous devons continuer à nous battre, même dans des conditions qui ne nous sont pas favorables et que bien entendu nous aurions aimé différentes. Personnellement, je pense que la signature ou le rejet du futur accord avec les créanciers sera un tournant qui va également changer l’attitude – positive ou négative – du monde du travail envers le gouvernement… Ce jeudi 20 mai, nous aurons une première grève dans les hôpitaux. Elle est décisive, nous la soutenons et nous allons regarder de très près le succès potentiel.
Le procès des principaux dirigeants d’Aube dorée s’est ouvert mardi 12 mai. Est-ce à dire que l’extrême droite est durablement affaiblie en Grèce ?
Nous souhaitons et faisons tout pour la plus lourde condamnation des dirigeants et cadres d’Aube dorée. La poursuite en justice, la perspective de ce procès, a considérablement réduit l’activité des « escadrons d’assaut », ces groupes violents que Aube dorée non seulement ne cachait pas mais utilisait comme base pour son développement. Aube dorée, ce n’est pas un parti quelconque de l’extrême droite grecque, mais c’est une organisation nazie fondée sur l’action de rue. En ce sens, ils ont subi un coup important. Ils ont maintenu une influence électorale, mais moins que prévu.
Aujourd’hui, c’est donc le moment de faire monter en puissance la mobilisation antifasciste : une pression venue du mouvement ouvrier, de la gauche, pour leur interdire leurs activités nazies et une présence dans la rue, dans les écoles, dans les quartiers. C’est le seul moyen de mettre un terme à leur croissance et les mettre durablement sur la touche.
Propos recueillis par Jacques Babel