À peine 13 minutes, Marseillaise comprise, pour donner des preuves d’« amour » à celles et ceux qui se mobilisent ou soutiennent les revendications sociales des Gilets jaunes : tel était le défi de Macron lundi soir… Mais à l’exception de certains commentateurs politiques, et de responsables des Républicains ou du RN qui estiment qu’il y a un pas, les réactions aussi bien des Gilets jaunes que des lycéenEs ont été immédiates : Macron nous a une fois de plus infligé son mépris de classe.
Le fait politique majeur reste qu’il a été contraint à ce discours, contraint d’abandonner sa posture d’inflexibilité, ce qui est, en miroir, un encouragement à renforcer, élargir et approfondir nos mobilisations, pour imposer de vrais reculs au président des riches et à ceux qu’il défend.
Ce qui est au centre de la mobilisation des Gilets jaunes et qui leur assure un large soutien, c’est la revendication d’une augmentation significative des revenus, pour « vivre et pas survivre ». Alors Macron a fait des pieds et des mains, les yeux rivés sur son prompteur, pour tenter de nous faire croire qu’il allait donner du « pouvoir d’achat ». 100 euros « de plus » pour les salariéEs au SMIC, la défiscalisation des heures supplémentaires et de la prime exceptionnelle de fin d’année, en fonction des capacités des entreprises...
Mais une formule résume tout : « sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur » ! Si on passe sur le fait que les ministres missionnés pour assurer le service après-vente bégayaient quant aux modalités de mise en œuvre de cette annonce, il est toutefois clair que l’on ne parle pas ici d’une augmentation de salaire, c’est-à-dire du SMIC horaire. Il s’agit en réalité de cumuler des mesures déjà annoncées, qui seront simplement anticipées afin d’afficher ce compte rond de 100 euros. Mais ce ne seront que des primes (qui ne donnent pas de droits pour la retraite), et tous les salariéEs payés au SMIC horaire ne les toucheront pas.
Depuis des années, les exonérations de cotisations patronales et les défiscalisations, présentées comme des encouragements à l’embauche, ont seulement démontré leur capacité à tirer les salaires vers le bas. La défiscalisation des heures supplémentaires, en plus d’imposer la flexibilité aux salariéEs qui les réalisent, est en outre contradictoire avec la création d’emplois. De plus, l’annulation pour 2019 de la hausse de CSG pour les retraitéEs touchant moins de 2 000 euros, ne garantira pas leur pouvoir d’achat, alors que les pensions évolueront moins vite que les prix ! Et surtout, ces mesures, « entre 8 et 10 milliards d’euros », ne seront pas payées par les entreprises, mais par une fiscalité toujours injuste et par des économies sur les services publics.
Cette allocution marque bien un tournant. Macron a été contraint de sortir de son silence hautain. C’est l’enracinement de la mobilisation des Gilets jaunes, l’élargissement de la contestation dans la jeunesse scolarisée, et la menace de l’extension à des secteurs du monde du travail, qui l’ont imposé.
Ceci dit, Macron a bien tenté d’y résister. D’abord en désavouant ses ministres, pour montrer qu’il reste le seul maître à bord... du Titanic, mais aussi en commençant son discours par l’annonce qu’il n’y aurait aucune indulgence contre les « violences inadmissibles », qu’il mettrait tous les moyens pour ramener le « calme et l’ordre républicain ». Contre le mouvement lycéen, 700 interpellations sur la seule journée du jeudi 6 décembre avec, en point d’orgue, la mise en spectacle de l’humiliation des 153 jeunes de Mantes-la-Jolie. Contre les manifestantEs de samedi dernier, des centaines de blesséEs et des milliers d’interpelléEs. La force la plus brutale a été déployée, mais elle n’a rien empêché : en début de semaine, le mouvement lycéen gagnait de nouveaux établissements, et les barrages et blocages se maintenaient.
À toutes ces colères qu’il prétend comprendre (voire partager...), Macron ne répond pas : rien sur le retrait de ParcourSup, des réformes du bac général et de la voie professionnelle ; rien sur « l’urgence économique et sociale » d’augmenter tous les revenus et de partager le travail ; rien sur la justice fiscale, pas de retour à l’ISF. Au contraire même, il prétend pouvoir poursuivre ses réformes programmées, de destruction des services publics, de l’assurance chômage et des retraites, tout en agitant la menace d’un débat sur l’immigration. Nous voilà prévenuEs.
Macron est loin d’avoir gagné. Pour la première fois depuis bien longtemps, une mobilisation, celle des Gilets jaunes, a ouvert un espace pour un combat offensif avec des revendications porteuses d’espoirs de vivre mieux dans toutes les couches d’un monde du travail acculé à la défensive par les défaites cumulées depuis deux décennies. C’est précieux et fragile à la fois, et une course de vitesse est engagée.
Il appartient maintenant aux salariéEs d’utiliser, en plus des blocages, l’arme de la grève pour réellement bloquer l’économie. La journée de mobilisation du vendredi 14 décembre peut être une étape, malgré les conditions de cet appel, la direction de la CGT refusant délibérément de le connecter aux mobilisations des Gilets jaunes et ne fixant même pas clairement l’objectif de la grève. Mais Solidaires, ou encore des structures syndicales CGT ou FSU, s’en emparent pour en faire une journée de grève en solidarité avec les mobilisations lycéennes et avec les manifestations du lendemain, l’Acte V du mouvement des Gilets jaunes.
C’est le caractère massif de ces deux jours qui pourra poser des limites au déploiement de plus en plus démesuré des violences policières et judiciaires, mais aussi construire la perspective d’une généralisation des grèves, bloquer le pays pour bloquer l’économie, toutes et tous ensemble, pour gagner.
Cathy Billard