Article de Daniel TANURO, paru sur le site de nos camarades de la LCR belge, le 20 avril 2013
Il y a une dizaine d’années, les partisans du nucléaire affichaient généralement leur « climato-scepticisme ». Aujourd’hui, ils essaient plutôt de se présenter comme des écologistes soucieux de contribuer à la lutte contre le réchauffement de la planète. Or, leur technologie, outre qu’elle fait peser des dangers inacceptables, contrecarre en réalité la transition énergétique vers un système « zéro carbone ».
Un premier argument climatique des nucléocrates est que les centrales atomiques permettent de produire de l’électricité sans émettre de gaz carbonique, donc sans augmenter l’effet de serre. Cet argument a fait son chemin auprès des technocrates des organisations internationales (la Commission Européenne par exemple) dont les rapports parlent de plus en plus souvent d’énergies « sans carbone » plutôt que d’énergies renouvelables.
Inclure le nucléaire dans le « mix énergétique » de la transition, tel est le but de cette astuce sémantique. Or, celle-ci est à la fois juste et fausse. Juste car, l’uranium n’existant sur Terre qu’en quantité finie, le nucléaire ne peut décemment pas être considéré comme « énergie renouvelable » - il fallait donc trouver autre chose. Et fausse car, s’il est vrai qu’une centrale n’émet pratiquement pas de CO2, il n’en va pas de même de la filière dans son ensemble. L’extraction du minerai, sa purification, la construction des centrales et leur démantèlement, notamment, consomment beaucoup d’énergie fossile, contribuant ainsi au réchauffement. Le nucléaire n’est pas une énergie « zéro carbone », loin de là.
Un deuxième argument est plus subtil : le recours au nucléaire serait indispensable, au moins pendant une période, pour… assurer la transition vers un système 100% renouvelable. Beaucoup de gens sont démunis face à ce raisonnement. Il est donc important d’expliquer qu’il est faux : en vérité, le nucléaire contrecarre la transition. L’atome et les renouvelables sont comme l’eau et le feu : incompatibles. Il faut choisir, et il faut le faire maintenant.
Un des problèmes essentiels du nucléaire est son manque de flexibilité. Les centrales produisent de grandes quantités d’électricité ; comme le courant n’est pas stockable, chaque Kwh produit doit être consommé quelque part sur le réseau. Deux conclusions en découlent.
La première : un réseau 100% nucléaire est impossible, car il ne pourrait pas répondre aux fluctuations de la demande. Au mieux, l’atome peut fournir une quantité d’électricité correspondant au minimum de la consommation. Les besoins supplémentaires doivent être couverts par des installations que l’on peut mettre en marche en fonction de la demande (les centrales au gaz, par exemple).
La seconde : comme la plus grande partie de la production verte d’électricité est, elle, intermittente (en fonction du vent, du soleil, des marées, etc), la conclusion coule de source : le nucléaire et les renouvelables se marchent sur les pieds. Ce sont deux systèmes techniques radicalement opposés. Chacun d’eux peuvent être combiné avec d’autres sources (ou avec des dispositifs de stockage de l’énergie, à développer et à inventer), mais ils ne peuvent pas être combinés entre eux.
Du point de vue du projet de société, il est important de saisir que l’incompatibilité entre nucléaire et renouvelables ne se limite pas aux problèmes de l’intermittence et de la continuité dans la production électrique. Elle va bien au-delà et débouche sur un choix fondamental entre centralisation et décentralisation énergétique, donc aussi entre standardisation et diversité technique.
Tout mode de production repose sur un système énergétique qui transforme l’énergie disponible dans la nature pour satisfaire les besoins humains : un champ de blé convertit l’énergie lumineuse du soleil en énergie chimique, un feu de bois convertit l’énergie chimique en chaleur et en lumière, une voile convertit l’énergie du vent en mouvement du bateau, etc. A noter : chaque fois que l’énergie est convertie ainsi d’une forme à une autre, une partie est dégagée sous forme de chaleur.
L’humanité a connu plusieurs modes de production et différents systèmes énergétiques. D’une manière générale, les systèmes précapitalistes étaient décentralisés et diversifiés, à l’image des sociétés qui leur avaient donné naissance. Quand la centralisation et la standardisation se développaient, c’était seulement à l’échelle locale et régionale. L’Egypte ancienne, par exemple, avait développé un remarquable système de gestion des deux grandes sources énergétiques dont elle disposait : le Nil et le soleil. Un système analogue a existé dans d’autres régions, mais il n’était évidemment pas généralisable : chaque société devait forcément se contenter d’utiliser les ressources fournies par son environnement naturel.
En créant un marché mondial, le capitalisme a réduit considérablement cette diversité et à cette décentralisation. Le changement s’est fait graduellement, mais avec deux sauts qualitatifs importants. D’abord, les combustibles fossiles se sont imposés. On s’est mis à brûler du charbon pour produire du mouvement, de la lumière ou de la chaleur même dans des régions où il aurait été plus rationnel d’employer d’autres sources. Cependant, chaque entreprise brûlait son charbon pour animer sa machine à vapeur. Le système énergétique restait donc relativement décentralisé. L’invention du moteur électrique a mis fin à cette situation, et c’est ainsi que nous en sommes arrivés au système énergétique extrêmement centralisé et standardisé que nous connaissons aujourd’hui.
Le nucléaire s’y intègre parfaitement : l’uranium extrait au Niger ou ailleurs (merci la Françafrique !) fait des milliers de kilomètres pour servir à produire du courant qui en fait des centaines. Or, il n’en va pas de même des renouvelables. Techniquement, ils requièrent décentralisation et diversité. Ce sont les conditions nécessaires pour s’adapter aux sources locales et réduire les pertes dues à la transmission.
On peut certes – cela se fait – importer du Canada des pellets de bois et les brûler dans une centrale thermique en Belgique pour produire du courant vendu sur le réseau européen. C’est possible, et cela peut être rentable du point de vue capitaliste. Mais ce n’est pas rationnel du point de vue énergétique. On objectera que la filière de l’uranium n’est pas rationnelle non plus. C’est exact : dans ces deux exemples, le bilan énergétique au niveau de la filière dans son ensemble est mauvais, peut-être même négatif (si la quantité d’énergie utilisée est plus grande que la quantité d’énergie produite). Cependant, il y a deux différences :