A peine quelques jours après l’adoption, en conseil des ministres, des deux projets de lois sur les retraites ( une loi dite "ordinaire" et une loi "organique"), c’est dans un climat ubuesque que s’engage, la discussion parlementaire. Une "commission spéciale" a été mise en place pour cadenasser les débats. La "représentation nationale", va discuter de textes "à trous", où ne figurent pas certains éléments essentiels touchant tant au financement qu’ aux modalités de fonctionnement du nouveau système. Ceux ci devraient, pour une part, être ajoutés au cours d’une "2eme lecture" ou seront renvoyés à des ordonnances ultérieures que le parlement devra ratifier sans même en débattre. En un mot les députés sont sommés de voter un chèque en blanc au gouvernement sur des textes dont ils n’ont ni les tenants ni les aboutissants !
Ce passage en force, pour faire adopter à la sauvette des textes qui suscitent toujours l’hostilité de la majorité de la population et engagent l’avenir des générations futures est si grossier que même le Conseil d’Etat a "vu rouge". Sur un ton très inhabituel, il dénonce des "projections financières lacunaires" et un recours excessif aux ordonnances qui "fait perdre la visibilité d’ensemble", ainsi que des dispositions (notamment celle concernant les revalorisations des salaires des enseignantEs) "contraires à la Constitution". Obligé de travailler dans l’urgence, le Conseil d’Etat s’estime dans l’incapacité de "garantir au mieux la sécurité juridique" des lois, un lourd avertissement.
L’argument n’avait cessé d’être répété en boucle par Macron et ses ministres. Le but de sa contre-réforme n’était pas de "faire des économies". La preuve : la part de la richesse produite consacrée aux retraites resterait constante et égale à 13,8% du PIB. Cette "preuve" n’en était, en réalité, pas une car comment maintenir le niveau de pensions, avec une enveloppe identique, alors que le nombre de retraitéEs augmente ? Mais l’étude d’impact qui accompagne les projets de loi va plus loin : elle montre, tableaux à l’appui, que le pouvoir a pour perspective réelle la diminution de la part du PIB consacré aux retraites et compte la ramener de 14% à moins de 13% 2050 !. Or un point de PIB c’est environ 25 milliards d’€, c’est à dire 8% de la masse des pensions versées....
En parallèle s’est mise en place le 30 janvier, la "conférence de financement", réclamée par la CFDT. E.Philippe lui a assigné une double mission. Il s’agit d’abord de« proposer des mesures qui permettront au système actuel, tel qu’il fonctionne, de revenir à l’équilibre à l’horizon 2027 ».
L’ age pivot de 64 ans, pour une retraite complète ayant été provisoirement "suspendu", les "partenaires sociaux" sont chargés de proposer d’autres dispositifs, sachant que les pensions ne doivent pas baisser et que les employeurs ne doivent pas être mis à contribution (pas de "hausse du coût du travail").
Hors quelques bricolages, on voit mal comment il ne faudrait pas d’une manière ou d’une autre jouer sur la seule variable d’ajustement restante, l’âge de départ pour une retraite complète.
C’est d’ailleurs ce que le MEDEF ne cesse de répéter, affirmant qu’il faudra bien en passer par des "mesures d’âge" : "âge pivot et/ou durée de cotisations. Et à la fin de cette mascarade à laquelle se prêtent non seulement les syndicats dits "réformistes" mais aussi FO et la CGT, c’est le pouvoir qui reprendra la main et, faute d’accord, rétablira s’il le juge bon "l’âge pivot".
Quant à la seconde mission de la conférence « formuler des recommandations sur la gestion financière » du futur système universel, elle relève encore plus de la "mission impossible", puisque cette fois l’âge pivot figure dans le texte de loi comme une variable essentiel de l’équilibre du futur système, auquel il n’est pas question de toucher.
La "conférence de financement" préfigure ainsi la place que le pouvoir entend donner aux syndicats dans la gestion des retraites par points : celle de cautions consentantes et impuissantes à un équilibre automatique, obtenu par la baisse des pensions et l’augmentation de la durée du travail.
Toutes ces manœuvres, mensonges et dénis de démocratie témoignent de la fébrilité et des difficultés de l’exécutif à imposer son projet. La partie est loin d’être gagnée pour lui, à condition que la mobilisation sociale, elle, ne "lâche rien".
J.C. Delavigne