Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) - Ille et Vilaine (35)
  • Rocard : nous, on n’est pas amnésiques....

    Nous publions ci dessous un texte de notre camarade Alain Krivine (paru dans les Inrocks) et un texte Sandra Demarcq (paru dans l’Anticapitaliste) à propos des "hommages" qui ont été déversées dans les médias à l’occasion du décès de M. Rocard.
    Et à l’appui de ces deux textes et à titre de document local, nous publions également le "compte-rendu" d’un meeting tenu par Rocard à Fougères en février 1981, dans le cadre de la campagne présidentielle de Mitterrand. Ce document, extrait du bulletin que diffusaient à l’époque les militant-es fougerais de la LCR, illustre bien la "conversion" social-libérale qui a "touché" Rocard au début des années 1970....

    Alain Krivine : “En 1970, Rocard me prenait sur la gauche !”

    “Je l’ai connu dans les années 1960. Il était au PSU, qui incarnait à l’époque la gauche de la gauche : Jacques Sauvageot était au PSU, tout comme Marc Heurgon. La Ligue communiste avait des rapports fraternels avec le PSU, qui était né de la fusion du Parti socialiste autonome – une scission de gauche du PS –, de catholiques de gauche et de l’Union de la gauche socialiste.
    Michel Rocard lui-même était très à gauche. En 1970, nous avons fait un meeting ensemble à Rennes pour soutenir les soldats emprisonnés et obtenir leur libération. Il y avait des flics à l’extérieur, l’ambiance était tendue, et parfois il me prenait même sur la gauche ! (rires).
    Je me souviens qu’il était toujours assez incompréhensible quand il parlait. On avait un mal fou à saisir ce qu’il racontait. Il s’embrouillait, ne terminait pas ses phrases, avait un vocabulaire compliqué. On le suivait difficilement. Il a ensuite viré à droite – en tout cas, il est devenu social-libéral. Il a quitté le PSU en 1974 pour rejoindre le PS, comme l’a fait mon beau-père Gilles Martinet (cofondateur du PSU en 1960 – ndlr) deux ans avant. Il a eu une évolution de l’extrême gauche à la droite du PS.” propos recueillis par MD


    Sandra- Demarcq : Rocard : nous, on n’est pas amnésiques

    La mort de Michel Rocard aura donc été l’occasion une belle unanimité de la classe politique institutionnelle. On nous assène qu’« il a tant fait pour la France et le socialisme » (Bartolone), un « homme de convictions [qui] n’a cessé toute sa vie, du PSU au Parti socialiste, de vouloir transformer la société, de réconcilier l’économique et le social, et de s’appuyer sur l’État comme sur les acteurs de la société pour agir et changer la réalité » (Aubry). « Un éclaireur nous a quittés », dit même Mélenchon, le faisant ainsi passer pour un ami des oppriméEs... pourtant aujourd’hui célébré à droite et même à l’extrême droite.

    Pour notre part, nous refusons de participer à cette amnésie générale. Rocard n’est pas seulement celui qui a affirmé en 1989 que « nous ne pouvons plus héberger toute la misère du monde », marquant ainsi les renoncements de la gauche sur la question de l’immigration. Il est aussi en vrac le responsable du livre blanc sur les retraites qui a ouvert la voie à toutes les contre-réformes de gauche comme de droite, de la CSG, de la matraque contre la grève des infirmières en 1988, des accords de Matignon qui maintiennent le statut de colonie de la Kanaky (Nouvelle-Calédonie) et a permis l’amnistie des militaires qui assassinèrent des Kanaks au terme de l’assaut de la grotte d’Ouvéa... Il était aussi le Premier ministre du premier gouvernement de gauche... comprenant des ministres venus de la droite, celui qui a le plus utilisé le fameux 49-3 (Valls a été à bonne école...), avec une fin de carrière à un poste nommé par Sarkozy. Bref, un agent puissant du néolibéralisme au sein du PS.

    Aussi rien d’étonnant à ce que Michel Rocard ait pu fêter ses 80 ans en compagnie d’Ernest-Antoine Seillière ou de Laurence Parisot, d’Alain Bauer (grand promoteur de politiques sécuritaires), outre évidemment la présence de pontes du PS ou de Nicole Notat (ancienne secrétaire générale de la CFDT qui avait soutenu le plan Juppé combattu par la rue en 1995). Nulle raison donc de se montrer surpris que Rocard ait pu à la toute fin de sa vie considérer que la loi travail est « une chance pour la France »...
    Comme l’écrivait notre camarade Daniel Bensaïd, « les Rocard et consorts ont de la suite dans les idées. Ils travaillent dans le long terme, en hommes de gouvernement et d’administration. Sans le dire encore ouvertement, ils partagent les préoccupations des technocrates capitalistes ».