Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) L’anticapitaliste - Ille et Vilaine (35)
  • mai 1936 - mai 2016, la Maison du Peuple de Rennes, lieu majeur de la lutte de classes

    La Maison du Peuple de Rennes est occupée par le mouvement social depuis quelques jour.
    Il n’est, dès lors, pas inutile rappeler, le rôle majeur que jouait ce lieu, il y à 80 ans, le 1er mai 1936, à l’aube d’un mouvement social qui allait submerger le pays.
    Voici l’affiche appelant au meeting de ce 1er mai 1936 à la Maison du Peuple (ADIV 1M 158) et ce qu’on lisait dans le Semeur d’Ille et Vilaine, bi-hebdomadaire de l’UD CGT dans le n° du 10 mai 1936 (Archives Départementales d’Ille & Vilaine)

    Le Premier Mai, fête du Travail, devait, du fait de la réalisation de l’Unité ouvrière (1) revêtir cette année un caractère exceptionnel et particulier.
    Nombreux sont les militants qui depuis des années regrettaient de ne plus se retrouver réunis dans une même salle, dans un même meeting ou dans un même cortège pour clamer leurs aspirations et renouveler le geste symbolique de l’arrêt du travail.
    Il était à peine huit heures que nos amis du Bâtiment avaient déjà ouvert leur permanence et que les camarades affluaient déjà à la Maison du Peuple.
    Deux cents cartes de plus que les années précédentes furent distribuées et plus d’un millier de camarades vinrent assister au meeting et faire acte de présence.
    C’est notre camarade Neumayer, de la Fédération des Fonctionnaires qui devait parler au nom de la C. G. T.
    Au bureau avaient pris place à côté du camarade Chéreau, secrétaire de l’Union locale (2), les camarades Laporte (3) et Godet, Guihard et Carré de l’Arsenal, Daniel et Langouet des P.T.T., Sevestre et Roussel des Cheminots, Morel, des Municipaux.
    Avant de donner la parole à Neumayer, Chéreau rappela, dans une brève allocution que le Premier Mai nous était célébré sous le signe de l’Unité réalisée. Il ne s’agit pas de discuter ni de voter des ordres du jour mais de travailler effectivement pour le bien de la classe ouvrière.
    La situation présente est critique (4).
    « Si nos futurs élus, déclare-t-il, ne tiennent pas leurs promesses, s’ils ne luttent pas de toutes leurs forces et sans limitation pour réaliser le programme de nos revendications, ce sera notre force syndicale, ce sera la C. G. T. Unifiée qui contraindra nos gouvernants à remplir leur tâche. Nous ne voulons plus continuer d’être les éternelles dupes, nous sommes décidés à faire entendre, à faire respecter la grande voix du peuple, et par ce moyen à réaliser enfin l’émancipation totale de la classe ouvrière. »

    Après ce rapide exposé, notre camarade Chéreau cède la parole à notre camarade Neumayer.
    Celui-ci débute en déclarant que le Premier Mai 1936 devra être célébré dans le recueillement. Il doit consacrer la réalisation de l’Unité Ouvrière.
    Après avoir fait l’historique de cette fête du Travail et des luttes d’avant-guerre, rappelé Fourmies, la lutte pour les huit heures, le Premier Mai d’après-guerre, la grève des Cheminots, la scission douloureuse (5), Neumayer souligne que nous avons le droit et le devoir de songer au passé, d’éviter les déchirements que nous avons connus et d’en tirer une leçon pour l’avenir.
    « Nous sommes en période électorale :
    Une campagne électorale, poursuit-il, ne peut être indifférente aux travailleurs. Nous avons le droit de nous réjouir des résultats du premier scrutin qui a balayé un certain nombre de potentats malfaisants. Espérons que le deuxième tour nous apportera des satisfactions plus précises.
    Mais n’oubliez pas qu’au lendemain de cette consultation les mêmes difficultés que celles d’à-présent nous assailleront : chômage, crise économique, mévente, réduction des moyens d’existence, désespérance des jeunes sur laquelle compte le fascisme.
    Nous autres militants et vous tous les syndicalistes sincères avez compris que le premier devoir qui s’impose à nous au lendemain de la bataille électorale est de continuer de perpétuer le Rassemblement populaire. »
    Après avoir examiné les méfaits de la crise et en avoir recherché les causes, il conclut que cette crise est le résultat de l’écart qui existe entre la richesse et la répartition de cette richesse.
    « - La production continuera d’être exploitée par le capitalisme tant que subsistera ce capitalisme. L’égoïsme de la bourgeoisie a supplanté son intelligence et il est à craindre toujours que ceux qui détiendront le pouvoir ne demeurent, comme dans le passé, aux ordres de cette bourgeoisie égoïste.
    - Dans tous les pays, les forces de conservation sociale se sont servies du fascisme. La C. G. T. a pris réellement position : elle s’est déclarée adversaire de la délation et ses efforts ont provoqué les résultats satisfaisants de ce premier scrutin. »
    Après avoir rappelé le sursaut populaire qui, au lendemain du 6 février amena la réplique du 12 (6), Neumayer souligne que nous connaissons aujourd’hui les dangers du fascisme.
    « - Il serait la négation des libertés syndicales auxquelles nous devons tout. Entre les deux, c’est aujourd’hui une question de vie ou de mort. »

    L’orateur rappelle les résolutions du Congrès de Toulouse :
    « Défense des revendications immédiates : présence et action au sein du rassemblement populaire (7) ; action en faveur du plan de la C. G. T., c’est-à-dire action contre la crise et les oligarchies financières et économiques qui dominent et dirigent notre pays. »
    S’appuyant sur une documentation serrée et sur des chiffres incontestables, provenant des statistiques officielles mêmes, Neumayer prouve la nécessité immédiate de réaliser le plan adopté au Congrès de Toulouse.
    Il est indispensable de procéder à une nouvelle répartition du travail pour conséquence de la marche du progrès. « La raison, la logique soutiennent seules la thèse des quarante heures. » En défendant les quarante heures, la classe ouvrière défend son droit à la vie.
    Une nécessité non moins supérieure est celle de la réalisation des contrats collectifs de travail, qui seuls, défendront efficacement l’individu contre les exigences patronales arbitraires.
    Il est indispensable que ces convictions s’inscrivent dans le programme des grands travaux préconisés par la C. G. T.
    « - Mais, poursuit-il, comment financera-t-on ces grands travaux ? Problème facile à résoudre et qui devra être résolu en exigeant la capitulation des puissances d’argent. Il s’agit d’une œuvre de vie ; c’est à nous syndicalistes qu’il appartient d’imposer à la bourgeoisie égoïste et aux gouvernants le plan de la C. G. T.
    Nous devrons appuyer nos revendications par une action générale contre la crise. Elle ne sera résolue que si nous nous attaquons à la structure économique et sociale du pays, si nous réduisons à l’impuissance les oligarchies qui nous gouvernent, si nous savons exiger, vouloir que le Crédit serve aux intérêts de la collectivité toute entière.
    L’organisation syndicale devra être l’animatrice du rassemblement populaire, c’est à elle qu’incombe en définitive cette tâche de salubrité. »
    Il rappelle la période troublée qui précéda 1789, la banqueroute de Law et établit un parallèle avec la période actuelle.
    « - Nous avons plusieurs bastilles à démolir, comme le firent nos grands ancêtres : celles des puissances économiques et financières. La C. G. T. sera toujours à vos côtés dans la bataille.
    Sur le plan international, nous emploierons tous les moyens susceptibles de prévenir, d’écarter la guerre sans cesse menaçante ; par un pacte de sécurité collective, par le respect des traités ; par un achèvement vers le désarmement général.
    Sur ce terrain, la C. G. T. a déjà oeuvré ; l’entente se fait entre les organismes internationaux. Nous ferons sur le plan international ce qui a été réalisé sur le plan national : l’unité de tous les travailleurs mondiaux dans la Fédération Syndicale internationale, pour le pain, pour la paix, pour l’émancipation totale des travailleurs du monde entier. »

    La péroraison de Neumayer est saluée par les applaudissements unanimes de la salle. Chéreau remercie l’orateur de son magnifique exposé et l’ordre du jour suivant est adopté par acclamations.

    ORDRE DU JOUR

    Les travailleurs manuels et intellectuels au nombre d’un millier réunis à la Maison du Peuple de Rennes à l’occasion du Premier Mai 1936 enregistrent avec joie les résultats de l’unité réalisée au sein du prolétariat de ce pays.
    Ils se félicitent de se retrouver aussi étroitement unis que dans le passé et font le serment que rien ne saura les diviser dans les luttes futures pour l’accomplissement et la réalisation du programme et du plan de la C. G. T. réunifiée.
    Contre les forces capitalistes, contre le fascisme, contre les 200 familles, contre les fauteurs de la guerre, ils déclarent être prêts à se dresser d’un seul bloc : le bloc des exploités contre celui des exploiteurs.
    A premier plan de leurs revendications, ils placent la lutte contre le chômage et la défense de la paix, l’abrogation des décrets-lois qui n’ont apporté qu’un peu plus de misère et l’abandon de la politique de déflation qui n’a réussi qu’à appauvrir les classes laborieuses et le petit commerce. Ils se séparent aux cris de : « Vive le syndicalisme ! Vive la C. G. T. Réunifiée ! Vive la Paix ! A bas la guerre !


    (1) il s’agit de la réunification syndicale CGT - CGTU réalisée au plan départementale au congrès de décembre 1935 et au plan national au congrès de Toulouse (mars 1936)
    (2) Ernest Chéreau est également secrétaire de l’UD CGT,
    (3) Emile Drouillas, dit Laporte est l’ancien dirigeant local de la CGTU.
    (4) le 1er mai se situe entre le 1er tour et le second tour des élections législatives qui verra le succès de la coalition électorale SFIO (PS) - PCF - Parti Radical et l’arrivée au pouvoir le 4 juin du gouvernement dit de Front Populaire, dirigé par Léon Blum.
    (5) il s’agit de la scission syndicale intervenue en 1921.
    (6) il s’agit de la tentative du putch fasciste du 6 février 1934 qui provoqua la grande mobilisation populaire et unitaire du 12 février 1934
    (7) la CGT fait partie en tant que telle des organisations associées au Front Populaire.