Il ne s’était probablement pas attendu à ça. Par une décision du bureau exécutif ce lundi 4 mai, Jean-Marie Le Pen, bientôt 87 ans, est « suspendu » de sa qualité d’adhérent du FN, le parti néofasciste qu’il avait créé avec d’autres à Paris le 5 octobre 1972.
Depuis, il jure vengeance, déclarant qu’il « regrette » que la présidente actuelle du FN – sa fille Marine Le Pen – « porte le même nom » de famille que lui-même, allant jusqu’à lui suggérer publiquement de se marier avec Louis Aliot, son compagnon et vice-président du FN, ou avec... Florian Philippot, autre vice-président du FN dont l’homosexualité est de notoriété publique...
La clé de voûte de la « dédiabolisation »
Le vieux « patriarche » a, certes, l’habitude de réagir ainsi, et avait déjà répudié une autre fille, Marie-Caroline, en 1999 au moment de la scission Le Pen-Mégret. À la différence de ce dernier, Marine Le Pen a les moyens d’imposer ses choix, son père lui ayant officiellement confié les clés du parti au congrès de Tours en janvier 2011. Ne mettant pour rien au monde en cause le fonds de commerce idéologique du FN, un nationalisme à caractère « ethnique », elle veut cependant éloigner son parti du soupçon d’antisémitisme et de complicité avec le nazisme. Son compagnon Louis Aliot avait formulé l’idée suivante : « Notre diabolisation ne tient qu’à notre antisémitisme présumé », ayant ainsi cru trouver la clé de voûte de la « dédiabolisation » recherchée.
Le vieux patriarche-fondateur du parti n’avait probablement pas cru qu’on allait remettre en cause jusqu’à sa qualité d’adhérent du parti, et avait plutôt pensé qu’on allait lui retirer son statut de « président d’honneur » – présenté par lui comme une qualité « à vie » sans que cela ne soit officialisé dans aucun texte – que la nouvelle direction lui avait donné au congrès de 2011. Ainsi les défenseurs qui lui restent, notamment son éternel second Bruno Gollnisch, avaient construit une argumentation spéciale autour de ce danger : seul un autre congrès pourrait revenir sur cette décision... C’est ce qui a dû précipiter la décision de suspendre Jean-Marie Le Pen de son appartenance au parti. Et la direction va aussi organiser une « Assemblée générale exceptionnelle » dans les trois mois, pour décider de la suppression du statut de « président d’honneur ».
C’est la fête au F Haine !
Cette sanction à l’encontre de Jean-Marie Le Pen, sur fond de conflits stratégiques réels (qui ne sont pas factices comme certains l’avaient présenté), intervient quelques jours après un 1er Mai qui s’était plutôt mal passé pour la direction actuelle du FN.
L’affluence était relativement maigre : approximativement 2 000 participantEs, en net recul par rapport à 2013 et 2014. Le FN a certainement payé le prix des conflits internes, mais il aussi dû pâtir du mauvais temps pluvieux et des vacances scolaires dans plusieurs régions, des facteurs qui ont aussi désavantagé la manifestation syndicale qui s’est tenue l’après-midi.
Comme cela a été largement médiatisé, Jean-Marie Le Pen a brièvement fait irruption sur la scène de la place de l’Opéra, alors que la présidente du FN l’avait interdit de parole, après avoir provoqué la direction en criant : « Jeanne (d’Arc), au secours ! »
De plus, l’action spectaculaire des militantes « Femen » qui ont fait irruption depuis le balcon de l’hôtel Intercontinental – l’endroit même où des militantEs antifascistes du réseau Ras l’front avaient interrompu le discours de Jean-Marie Le Pen le 1er mai 1995 – a quelque peu gâché la fête de la présidente du FN. Pendant plusieurs minutes, un certain désordre régnait sur la place, le service d’ordre du parti (DPS, « Département service et protection ») et un certain nombre de militants courant tout excités à travers la place, avant que le DPS ne déloge manu militari les militantes « Femen » de leur chambre d’hôtel. Si l’action de ces dernières n’ouvre malheureusement aucune perspective de construction collective d’une action antifasciste, elle a eu le mérite d’exister et de rappeler au mouvement antifasciste l’action de 1995 et ce qu’il pourrait faire aujourd’hui…
Enfin, le rassemblement du FN a aussi été cette année le théâtre de plusieurs actions violentes à l’encontre de journalistes de deux chaînes de télévision. C’est surtout la présence de journalistes de l’émission « Le petit journal » de Canal + qui a attisé la haine de certains militants d’extrême droite. Rompant avec le statut de pseudo-notable que lui confère sa qualité d’ancien professeur universitaire de droit et de langue japonaise, Bruno Gollnisch, alias « Gogol », n’a pas hésité à frapper à l’aide de son parapluie en direction des journalistes. N’ayant absolument aucune honte, Gollnisch allait ensuite plastronner par voie de communiqué : « Quand je trouve des micro espions, je les détruit »..