Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) - Ille et Vilaine (35)
  • Bretagne : « les germes d’une convergence des luttes ouvrières existent, avec ou sans bonnets rouges »

    Militant du NPA Kreiz Breizh, Matthieu Guillemot a été en 2008 un des animateurs de lutte victorieuse contre la fermeture des services de chirurgie et de maternité de l’hôpital de Carhaix et un défenseur acharné des inculpés de cette lutte. Membre du comité de défense de l’emploi de Bretagne, il a pris la parole à la tribune lors de la manifestation de Quimper le 2 novembre. Il nous présente les enjeux et les perspectives de cette mobilisation.

    Peux-tu revenir sur la préparation de la manifestation de Quimper ?
    Matthieu Guillemot – Au départ une poignée d’ouvrières et d’ouvriers de Marine Harvest dont l’usine doit fermer. Ils ont donc interpellé le maire de Carhaix, Christian Troadec. Le choix de ces ouvriers n’était pas anodin. Les braises du conflit victorieux de l’hôpital de Carhaix brûlent encore.
    Le lendemain mon téléphone sonna deux fois : un appel de ce même groupe d’ouvriers pour me raconter la discussion qu’ils avaient eues avec Christian Troadec et un deuxième appel de Christian Troadec. Le but clair, affiché et partagé : remettre en action les acteurs et les moyens de la lutte de l’hôpital de Carhaix.
    Une première réunion est organisée le 18 octobre en soutien aux Marine Harvest. Cette réunion importante fut largement au-dessus de toutes les espérances : plus de 600 personnes se sont massées pour remplir la salle. Pour une ville qui compte 8 000 habitants, c’est plutôt pas mal... À la tribune étaient présents tous les groupes politiques, syndicats, élus, commerçants ayant appelé à ce rassemblement (NPA, PS, FdG, FO, CFDT, mairie de Carhaix, maire de Poullaouen, président du pays Centre Ouest Bretagne, présidente des commerçants carhaisiens) et dans l’assistance, les délégués CGT de Marine Harvest. Pour ma part, au nom du NPA Kreiz Breizh, j’ai insisté sur l’interdiction des licenciements, une revendication bien reçue dans le public tant le cas de Marine Harvest est plus que choquant.
    C’est à l’issue de cette soirée que sera décidée la grande manifestation contre les licenciements et pour l’emploi le samedi 2 novembre à Quimper.

    Selon toi, qu’est-ce que cette manifestation du 2 novembre a changé au climat social local et national  ?
    Au lendemain de la manif de Quimper, la motivation est grande. Si l’effet «  bonnets rouges  » marche à plein régime, c’est qu’il est le symbole en Bretagne de la colère et du peuple. C’est une vieille histoire. Mais son dévoiement et sa récupération a brouillé le message (c’est le patron d’Armor Lux qui a offert les bonnets rouges sous le portique de Pont-de-Buis samedi 26 octobre), en particulier autour de la question de l’écotaxe, même si je pense personnellement que cette taxe est injuste et inefficace écologiquement.
    Au lendemain de la manif, à peine ai-je mis un pied hors du lit, mon téléphone sonnait. Nos camarades de Marine Harvest, présents en masse à Quimper, m’appelaient pour m’informer qu’ils entamaient une grève illimitée avec un blocus de l’entreprise. Avec Christian Troadec, nous nous sommes rendus sur place pour apporter tout le soutien du comité pour l’emploi.
    À la radio, on apprend ensuite que les salariés de Tilly-Sabco (1 000 emplois menacés) quittent leur entreprise de Guerlesquin pour aller à la sous-préfecture de Morlaix. Avec le syndicat CGT, les salariés ont enfoncé les portes de la sous-préfecture et occupé les lieux pendant près de 12 heures, exigeant de rencontrer le ministre Stéphane Le Foll. Le PDG de l’entreprise a tenté — une fois de plus — le coup de «  l’union sacrée  », comme s’il n’était en rien responsable des risques de fermeture de l’entreprise...
    À cette heure, les Marine Harvest maintiennent la grève et le blocus, et des portiques écotaxe sont pris pour cible un peu partout en France. Il reste à espérer que, comme en Bretagne, le portique soit l’arbre qui cache la forêt de la révolte sociale et du refus de cette société capitaliste et productiviste qui met à mal le monde ouvrier et la petite paysannerie.

    Justement, le mouvement en Bretagne semble se caractériser par deux axes revendicatifs : la lutte pour l’emploi, contre les licenciements, et l’opposition à l’écotaxe. Comment «  cohabitent  » les deux  ?
    Le point de départ est assurément la lutte pour l’emploi, contre les licenciements. Les événements de Pont-de-Buis ont quelque peu brouillé la lisibilité de l’action. Pour autant, la manif de Quimper a été un vrai succès populaire.
    La participation du NPA, avec la présence de Philippe Poutou, a contribué à centrer les débats sur les thématiques de l’emploi. Les représentants de la FDSEA, du Medef et quelques représentants de l’UMP, se sont engouffrés dans la brèche ouverte par la lutte contre l’écotaxe, en développant un discours réactionnaire et productiviste. Le NPA a fait le choix de ne pas laisser le terrain à ses ennemis de classe et donc de s’adresser aux salariés, au monde ouvrier, au moment où certains préféraient s’en éloigner.
    Je pense que toutes les forces de la gauche de la gauche doivent faire face à l’ennemi de classe, et cela toujours au côté des salariés, pour ne pas laisser le cri de colère se transformer en vote de haine.
    Par notre présence, nous pouvons dialoguer sur nos propositions et nos solutions, comme l’interdiction des licenciements mais également l’ouverture des livres de comptes des entreprises, les réquisitions ouvrières de l’outil de travail ou les nationalisations des entreprises.

    Tu es plus particulièrement investi sur la lutte des «  Marine Harvest  ». Où en est-on  ?
    Marine Harvest est le n°1 du saumon en Europe, son siège est basé en Norvège. Ses bénéfices se cessent de s’accroître, et dépassent aujourd’hui les 300 millions d’euros. L’appétit des actionnaires suit la même dynamique... Le projet de la direction de Marine Harvest est de délocaliser en Pologne, selon une logique capitaliste bien connue : jamais assez, toujours plus.
    Cette lutte est différente des autres car, si la colère est grande dans la population et chez les salariés, elle a du mal à se concrétiser dans des revendications portées par les représentants du personnel. Il y a en permanence une balance entre le maintien de l’emploi et le refus des licenciements, et la course à un meilleur plan social avec augmentation des indemnités et primes de départ. Tout cela apparaît quelquefois comme contradictoire et source de tension entre les salariéEs en lutte mais aussi avec le comité de soutien.
    Toujours est-il que nous sommes toujours très nombreux à soutenir les Marine Harvest en grève, dans une ambiance combative et solidaire.

    Comment la jonction pourrait-elle être possible avec les autres boîtes en lutte  ?
    Si certains sont effrayés par le symbole du «  bonnet rouge  », il faut tout de même se rappeler qu’à la tribune de Quimper et ce, devant près de 30 000 personnes, se sont aussi succédés au micro les représentants de Gad, de Doux, de Marine Harvest, de la CGT des Marins et du NPA. Dans la bouche de ces représentants, les mêmes revendications  : interdiction des licenciements, réquisition ouvrières des usines et nationalisation des usines qui licencient. La représentante de FO Doux s’est rendue à de multiples reprises sur le piquet de grève des Marine Harvest. Les germes d’une convergence des luttes ouvrières existent, avec ou sans bonnets rouges.
    Les rassemblements du 2 novembre, les blocus d’entreprise mais aussi de l’aéroport de Brest, de la ville de Morlaix ont été autant de moments de rencontre, de lien entre les salariés en lutte. Tout ceci doit se transformer avec les syndicats ouvriers en un front unique de la révolte sociale, mais aussi pour une opposition de gauche à la politique désastreuse de gouvernement Hollande-Ayrault.

    Propos recueillis par Manu Bichindaritz