La Cour de Cassation donne tort au Ministère de l’Intérieur après 3 ans de procédure judiciaire contre le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes, suite à une plainte du Ministère de l’Intérieur pour diffamation et injure contre la Police aux Frontières.
En juin 2008, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes apprit par voie de presse qu’une plainte avait été déposée contre lui par le Ministère de l’Intérieur suite à la diffusion de 3 tracts et de 2 affiches. Ces écrits accompagnaient deux rassemblements d’une cinquantaine de personnes contre la Police aux Frontières (PAF) le 2 avril 2008 [voir encadré ci-dessous pour le contexte de cette mobilisation]. Une bonne dizaine d’arguments utilisés et d’expressions employées par le collectif rennais avaient été isolés pour l’accuser de propos diffamants et injurieux à l’encontre de la PAF en tant que « corps constitué de l’Etat ». Durant l’enquête préliminaire de la police judiciaire, diligentée par le Procureur de la République de Rennes, 8 personnes avaient été auditionnées, dont 3 seulement avaient effectivement participé aux rassemblements du 2 avril. En juin et juillet 2008, suite à un premier appel à solidarité et à mobilisation, le fond et la forme de cette enquête préliminaire suscitèrent bien des réactions publiques et médiatisées (individus, associations, avocat-e-s, élu-e-s, syndicats, partis, conseil municipal, conseil général, conseil régional…). En particulier, les pressions policières subies par la Maison Internationale de Rennes (MIR) – association indépendante qui héberge nos assemblées générales hebdomadaires – pour l’obliger à livrer les noms des « animateurs » du collectif avaient beaucoup choqué.
Fin juillet 2008, le Procureur de la République décida de faire comparaître trois membres du collectif rennais, choisi-e-s et désigné-e-s arbitrairement, devant le Tribunal correctionnel de Rennes. Le fondement des poursuites était l’atteinte à la loi sur la liberté de la presse de 1881. Le procès eut lieu le 12 décembre 2008. Pour dénoncer le caractère arbitraire des poursuites, lors du procès, une bonne trentaine de personnes se présentèrent collectivement à l’audience en tant que comparant-e-s volontaires. Cette présentation collective ne fut pas validée par le Juge mais celui-ci prononça la relaxe au nom de la liberté d’expression.
Cependant, le Procureur de la République décida de faire appel et les trois personnes du collectif comparurent à nouveau le vendredi 15 janvier 2010 devant la Cour d’appel de Rennes. Celle-ci jugea que « même si le ton employé dans les tracts, destinés à interpeller l’opinion publique, est satirique et polémique, voire particulièrement cynique, […] les allégations incriminées des deux tracts litigieux » (sauf une) « n’excèdent pas, replacées dans le contexte d’une lutte militante, les limites admissibles de la liberté d’expression ». Mais, pour une allégation (« les agents de la PAF souvent familiers des idées racistes »), la Cour d’appel de Rennes donna raison au Ministère de l’Intérieur et les trois membres du collectif rennais furent condamné-e-s, pour diffamation, à 500 euros d’amende par personne avec un sursis de 5 ans. A la suite de cette décision judiciaire, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes décida de se pourvoir en Cassation. La Cour de Cassation, réunie en décembre 2010, a rendu un arrêt qui « casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt de la cour d’appel de Rennes », sans possibilité de renvoi. L’argumentaire de la Cour de Cassation est le suivant. « La seule expression d’une opinion sur les pratiques d’une administration publique, en l’occurrence la police aux frontières, qui s’inscrit dans un débat d’idées plus vaste relatif au fonctionnement des institutions de la République, est insusceptible de constituer en tant que tel le délit de diffamation, en ce qu’elle ne constitue pas une articulation précise de faits, mais une opinion critique relevant du seul débat d’idées ». C’est pourquoi, si l’allégation incriminée (« les agents de la PAF souvent familiers des idées racistes ») apparaît injurieuse, elle n’est pas diffamatoire : selon la Cour, en caractérisant cette allégation comme diffamatoire, la cour d’appel de Rennes « a méconnu les textes ». Le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes réaffirme qu’il n’entendait pas, par ses écrits, pointer du doigt ni injurier les individus travaillant à la PAF mais les pratiques et l’existence même de ce « corps constitué de l’Etat ». Il se félicite toutefois de la décision de la Cour de Cassation, en regrettant que la liberté d’expression contre la politique d’immigration ait pu faire l’objet d’une procédure judiciaire aussi insistante de la part du Ministère de l’Intérieur. Cette procédure a largement occupé le temps militant du collectif rennais, le détournant de sa raison d’être : la lutte pour la régularisation de toutes les personnes sans-papiers.
Pour marquer la fin de cette procédure judiciaire, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes a décidé d’appeler à un rassemblement-apéritif le samedi 12 février à midi devant les locaux de la Police aux Frontières route de Lorient. Nous lirons la décision de la Cour de Cassation à la PAF et nous en profiterons pour remercier l’ensemble des individus et des organisations qui ont défendu la liberté d’expression contre la politique d’immigration en nous soutenant par de la présence, par du travail militant, par des actions, par des déclarations, par de l’argent (ces poursuites judiciaires auront coûté près de 10 000 euros au total !)...
RASSEMBLEMENT-APÉRITIF DE FIN DE PROCÈS ET POUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
SAMEDI 12 FEVRIER à midi, Devant la police aux frontières, 157 route de Lorient (depuis République : bus n°55 direction Mordelles, arrêt Rennes – Le Hô)
Depuis sa naissance en 2002, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes a été souvent sollicité par des personnes étrangères dénonçant les pratiques de la Police aux Frontières (PAF), ce service particulier de la police chargé de lutter contre l’immigration dite irrégulière. Ainsi, à de multiples reprises, de manière médiatisée ou non, le collectif a jugé important de dénoncer les modes d’arrestations d’étranger-e-s à domicile, les interpellations devant les écoles des parents sans-papiers, le menottage systématique des étranger-e-s interpellé-e-s, les arrestations d’étranger-e-s aux guichets des préfectures ou devant les locaux associatifs, l’irruption de policiers dans les procédures de mariages mixtes… Les tracts et les affiches visés par la plainte dénonçaient à nouveau ces pratiques, comme le font des centaines d’organisations et de collectifs.
Mais, début 2008, le collectif rennais a été de plus en plus sollicité par des personnes étrangères, de nationalités diverses, se déclarant victimes de contrôles d’identité fondés sur la couleur de peau ou sur la langue utilisée, en particulier dans les gares ou le métro de Rennes. Ces contrôles étaient aussi rapportés par des témoins. Dans la quasi-totalité des cas, les personnes contrôlées étaient considérées – dans notre société – comme des personnes « arabes » ou « noires ».
Nous pensons notamment à 7 élèves d’un lycée rennais revenant d’une sortie scolaire qui, le même jour en mars 2008, ont subi ces contrôles d’identité. Cet épisode – qui a débouché sur une interpellation et une tentative préfectorale d’éloignement du territoire – a constitué une goutte d’eau de trop dans l’océan des contrôles d’identité que beaucoup nomment « au faciès ».
C’est pourquoi le collectif a décidé d’organiser, le 2 avril 2008, une action de dénonciation publique des pratiques de la PAF. Cette action a été annoncée et rendue visible par les 3 tracts et les 2 affiches visés par la plainte ministérielle. Ces écrits, conformément aux principes de fonctionnement du collectif, avaient été élaborés et validés collectivement en assemblée générale.
Collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes
Assemblées générales chaque mardi à 18 hs 30 à la MIR, 7 quai Chateaubriand