(Message reçu le 30 janvier 2016)
"Mardi dernier, durant l’assemblée générale hebdomadaire du Collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes, une femme angolaise (R) a sollicité notre aide parce qu’elle est menacée d’un retour forcé – d’une « procédure de réadmission » en langage préfectoral – vers la Hongrie. En effet, son exil forcé a croisé ce beau pays dans lequel un simple contrôle policier peut se transformer en prise d’empreintes et, simultanément, en demande d’asile sans que la personne concernée ne le sache. Cette simplification du service public de la demande d’asile fait rêver… sauf quand la personne ne veut pas demander l’asile en Hongrie. C’est le cas de R.
R nous a ainsi raconté son périple pour rejoindre la France. Entrée en Europe par la Grèce, elle a pris la route de la Hongrie où elle a été contrôlée par la police et enfermée quelques jours dans le camp hongrois de Debrecen, qui « accueille » plus de 1000 « demandeurs d’asile ». De l’enfermement de masse.
R était infirmière dans son pays d’origine. A cause de son exil forcé et des politiques migratoires européennes qui l’ont obligée à contourner les murs et à beaucoup marcher, elle était blessée aux pieds. R avait bien conscience qu’il fallait qu’elle se soigne. Alors, une fois arrivée au camp, elle a demandé une aide médicale. On lui a répondu que, en Hongrie, ça ne marchait pas comme ça et qu’elle n’y avait pas droit. Sans haine, elle nous a expliqué les insultes racistes de la part de la police hongroise. En particulier, elle a mentionné que tous les « africains » étaient appelés des « singes sans queue ». Et R de demander : « et c’est vers ce pays que la France – pays de droit – veut me renvoyer ? »
Puis R a expliqué comment une autre « singe sans queue », enceinte elle, a essuyé le même refus lorsqu’elle a dit aux policiers qu’elle avait très mal au bas ventre suite à sa longue marche et qu’elle avait besoin d’aide médicale. R a essayé de plaider sa cause mais elle a échoué. Dans la nuit, la femme a « accouché ». D’un bébé mort. Au matin, quand les portes du camp ont été ouvertes, elle est allée discrètement enterrer le bébé dans un champ. Et R de demander : « et c’est vers ce pays que la France – pays de droit – veut me renvoyer ? »
Enfin R a raconté comment les policiers laissent les centaines de demandeurs d’asile livrés à eux-mêmes dans le camp et n’interviennent pas lorsqu’ils se battent entre eux. Par provocation, un chrétien a brûlé un symbole musulman (un coran, je crois). Le camp s’est alors enflammé sous les yeux amusés des policiers. R a dû se cacher pour ne pas être emportée par les bagarres. Elle a eu très peur. Et R de demander : « et c’est vers ce pays que la France – pays de droit – veut me renvoyer ? »
Quand R a raconté son périple en Hongrie, avec sa voix claire et calme, pas grand monde ne bronchait dans l’AG. Les « blancs » et les « noirs » se taisaient. Quarante personnes toutes ouïes. Et puis R a demandé si on pouvait l’accompagner à la préfecture car, même si elle tenait à respecter la convocation du guichet asile pour la « mise à exécution d’une procédure de réadmission » vers la Hongrie, elle avait peur d’être arrêtée et voulait qu’on soit là. Plusieurs doigts se sont levés. Les doigts ont accompagné R à la préfecture.
Elle n’a pas été arrêtée mais le guichet asile lui a donné une nouvelle convocation en mars pour une nouvelle « mise à exécution d’une procédure de réadmission » vers la Hongrie. D’autres doigts se lèveront sans doute pour l’accompagner. Si elle décide à nouveau de respecter la convocation. Ce dont nous tenterons de la décourager.
Car nous voulons que R reste ici et nous pensons qu’elle a le « droit sans droit » de rester ici, de ne pas être traitée comme une « singe sans queue » en Hongrie."